Roman : La rivière savait… (6)
(Suite)
Marie-Lou Dufo était née en 1905 dans le petit village de Cheust, situé à quelques kilomètres de Lourdes, dans la vallée de Castelloubon. Elle me disait souvent, très chauvine, que c’était la plus belle vallée des Pyrénées. Ce petit village pentu où la cascade résonne jour et nuit dans le coeur des habitants, est un écrin de verdure arrosé de soleil et de lumière. Ses parents étaient paysans. Le plus grand bonheur de Mamilou était de garder les vaches. Elle les trouvait belles et attachantes quand elle les voyait s’attendrir auprès de leur veau qu’elles nourrissaient de leur bon lait. Ce lait de ferme qui l’avait nourri durant toute son enfance et dont elle ne retrouva plus jamais son goût sucré à l’odeur si particulière. Son enfance tranquille auprès de parents doux et aimants s’était ternie à la mort de sa jeune soeur, Jeanne, née 3 ans après elle, décédée à l’âge de 5 ans des suites d’une méningite. En 1912, naissait Louis, son petit frère adoré qui, à son tour, reprendrait le chemin de vie que la famille avait tracé durant plusieurs générations. Louis était un bon vivant. Il aimait faire bonne chère, boire un petit coup, raconter des blagues, faire des farces... Mais par dessus tout, Louis se délectait de ces histoires drôles qui font le tour des villages. Il avait l’âme d’un conteur. Louis et sa verve ! A sa façon aisée et habile de raconter, on l’avait surnommé « le roi du calembour ». Une fois, il nous avait fait bien rire avec « L’histoire du bistrot ». Cela s’était produit un soir d’hiver, un de ces soirs où les vieux du village, n’ayant pas grand chose à faire de leur journée, passaient la majorité de leur temps au café. Louis tenait cette histoire de son père. Ce soir là, à l’heure de fermeture du bistrot, les anciens souhaitant finir leur partie de belote, s’étaient quelque peu attardés. Alors que la maréchaussée faisait sa ronde, tous avaient su déguerpir à temps, sauf Peyo qui, ayant trébuché en se levant, n’avait pas eu le temps de les suivre par la petite porte de derrière donnant sur la cour. Dans la pénombre mêlée à la panique, à son tour, Peyo avait levé le loquet de la petite porte. Sauf qu’il s’était trompé et avait atterri dans la loge à cochons. Il s’était retrouvé là, à quatre pattes dans le noir, juste intimidé par la truie qui lui reniflait le postérieur. Mamilou s’était amusée de cette anecdote qu’elle connaissait pourtant pour l’avoir maintes et maintes fois entendue raconter par son père. Mais les commentaires de Louis rajoutaient toujours un peu de piment à la sauce. « Eh bien, avait-il alors rétorqué d’un ton railleur, je pense que cette vieille truie avait dû lui faire un drôle d’effet ! Son haricot devait flageoler ! » Et tout le monde avait ri de ce bon jeu de mots.
Mamilou, elle, avait une sensibilité à fleur de peau. Elle pouvait s’émouvoir d’un rien, pleurer à l’écoute d’une musique, d’une histoire contée au coin du feu le soir à la veillée.
Lucien, son grand amour, avait su lui apporter tout l’amour et la tendresse dont elle avait besoin. Lucien Bernatou était né à Adé, dans notre maison. Il avait toujours était frêle et petit, tout comme elle. C’était leurs parents respectifs qui avaient organisé leur rencontre.
Marie-Lou et Lucien s’étaient tout de suite aimés. Ils avaient tous deux cette même fragilité qui rend les êtres touchants et attachants au point de sentir ce besoin incessant de les surprotéger tant ils sont émouvants. Et comme on dit : « Qui se ressemble, s’assemble ! », ces deux-là étaient faits pour s’entendre. Le mariage ne se fit pas attendre. Par la suite, ils ne faisaient jamais rien l’un sans l’autre. Alors, en cette fin février 1943, quand Lucien fut appelé au service de travail obligatoire en Allemagne, ce fut un déchirement.
Son frère aîné, Laurent, se disait toutefois soulagé que les parents ne soient plus de ce monde pour supporter cela. Laurent était né en 1901. Parti sur le front en 1917, il revint blessé, le muscle de son bras gauche atrophié des suites d’un éclat d’obus. Cela lui avait valu une attribution de bourses d’études. Parti étudier à la faculté de médecine de Toulouse, il revint ensuite au pays pour s’installer comme médecin de campagne.
Désormais, c’était Mamilou qui s’occuperait de la ferme et des bêtes. Lucien ne revint jamais d’Allemagne. Il tomba brusquement malade. Décédé des suites d’une dysenterie, il ne connut jamais mon existence. Par la suite, le temps avait fait son affaire...
(A suivre)