Roman : La rivière savait… (8)

Publié le par M. P.

(Suite)

Je trouvais si cruel et si injuste de ne pouvoir s’aimer vraiment.

Nous étions cousins et bien que cela se produisait dans certaines familles de se marier entre parents, je savais les dangers de la consanguinité.

Il me disait souvent que j’étais jolie et bien qu’il soit le seul à me l’avoir dit, je sentais bien que je plaisais aux garçons qui me reluquaient sur les bancs de l’église durant la messe dominicale, pour les fêtes ou à d’autres occasions ...

Leurs regards ne trompaient pas.

Les enfants du village étaient tous plus jeunes ou plus âgés que moi.

Je trouvais Christian trop orgueilleux, Jacques ne me plaisait guère et Bernard avait l’art du mensonge et n’incitait pas à la confiance. Rémi était très sympathique, mais il ne m’attirait pas vraiment.

Et, comme disait très justement Blaise Pascal :

« Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point. » 

L’école d’Adé était située dans les locaux de la mairie.

Il y avait deux classes uniques, une pour les filles et une autre pour les garçons.

Je n’aimais pas l’école qui me privait de liberté.

La maîtresse avait dû me changer de place, m’éloignant de la fenêtre qui attirait trop mon regard au-dehors.

Cela ne m’empêcha pas de continuer à rêver.

J’aimais bien les leçons de choses ; on en découvrait de toutes sortes, on goûtait des fruits, on décortiquait des champignons, on observait les feuilles des arbres ...

Le calcul et en particulier la division fut une rude épreuve.

Les problèmes de trains qui n’arrivent jamais à l’heure, les cuves vides qu’il faut remplir ou encore les robinets qui fuient, me laissaient totalement indifférente.

Ce n’était pas mon problème, ça ne me parlait pas, ça ne me touchait pas.

Anorexie

Au plus profond de ma mémoire

Habitée par le pouvoir

Anxiogène du souvenir

J’apprends à lire

De vieux rébus à décoder

Sans réelles affinités

Dépitée par le déluge

Telle une nuit sans refuge

Je me tiens à carreaux

Concentrée sur les carreaux

Des pages quadrillées

De mon cahier

Caractère gras des « Pourquoi ? »

Lourds d’angoisse d’être là

Les jours longs s’étirent

Anorexie qui vire

Au mal de ventre alarmé

Par Mallarmé

Que j’ânonne de mes larmes armées

De mots qui s’entremêlent, mal aimés

« Excusez, prince des poètes

Mais je ne suis pas prête ! »

Les mots grincent de l’encrier

Sur mon pupitre d’écolier

Quand soudain, lever de rideau

Sur le tableau

Les mots se sont mis à danser

Ils ont glissé sur le papier glacé

L’obscurité percée d’une éclaircie

Défiant l’anorexie

Libère les mots de prison

Raisonnant à foison

Sur mon esprit transi

J’ai remis les points sur les i

Depuis, j’ai faim de douceur

De mots qui parlent à mon cœur

Comme quand les nuages remontent des abîmes

Laissant glisser leur brume derrière les hautes cimes

Allant chercher la poésie

Pour nourrir ma vie.

(A suivre)

 

Publié dans culturels

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