Regards philosophiques (136)
Thème :
« Savons-nous vivre en société ? »
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Débat :
ψ Pour faire société avec d’autres, il faut que nous ayons des choses à partager. Nous ne pouvons faire société que dans une entité politique au plus près de ce qui nous identifie, tout en prenant compte de la diversité. A ce jour, cette entité s’appelle Etat, ceci malgré tous les détracteurs et malgré la connotation qu’ils ont accolé à ce mot, comme on l’a fait avec le mot peuple. Alors, ces reniements des entités personnifiant la société nous entraînent-ils vers des sociétés cloisonnées, renfermées sur des communautés, ou pire, vers une société globalisée, avec une culture entonnoir, où se perdra toute identité culturelle ? Nous avons su jusqu’ici faire une richesse de nos différences, et faire une société dans laquelle on peut encore s’identifier.
Je veux faire société déjà avec ceux avec qui je partage un minimum de valeurs culturelles, je veux faire société avec ceux qui veulent bien prendre en compte les valeurs de chacun, (valeurs que respecte la Laïcité). En revanche, je ne suis pas favorable à une société formatée par cette folle idée de la globalisation, qui, nous le voyons déjà, ne fait qu’exacerber les individualismes, le chacun pour soi. Bien sûr, c’est là une approche politique. Faire société passe par le respect des lois républicaines, par le retour à un enseignement moral républicain aux enfants, par le respect de la Laïcité, laquelle aussi, commence à l’école. La Laïcité nous permet le bien-vivre ensemble, sans anathème, au-delà de nos croyances ou de nos incroyances.
Vivre en société, c’est respecter l’autre, qu’il soit, suivant l’impératif catégorique kantien, « une fin et non un moyen », sans empiéter sur la liberté d’autrui ; c’est définir et respecter nos limites. « Une société montre son degré de civilisation dans sa capacité à se fixer des limites. », a dit le philosophe et psychanalyste Cornelius Castoriadis, que cite l’écrivain et journaliste Jean Claude Guillebaud.
ψ Ce qui me choque parfois dans nos sociétés occidentales, c’est cette notion assez nouvelle de « l’enfant-roi », ces enfants élevés sans contrainte, qui ne savent pas où sont les limites. Que vont-ils devenir, sans connaître le respect de l’autre, sans savoir où sont les droits et les devoirs ? Par ailleurs, la société ne tient pas assez compte de la parole des anciens, lesquels se trouvent déjà exclus par les nouvelles technologies ; il y a rupture entre les générations.
ψ Le problème est plus « nous » dans la société, que la société en elle-même. Est-ce qu’en tant qu’individu, on sait voir l’autre, faire l’effort d’aller vers lui, le respecter.
ψ Selon Jean-Marc Gaspard Itard dans son Mémoire et rapport sur Victor de l’Aveyron : « L’homme en tant qu’homme avant l’éducation n’est qu’une simple éventualité, c’est-à-dire moins même qu’une espérance. »
ψ On a évoqué quatre types d’individus participant à cette société, mais on ne peut faire une société si chacun reste enfermé dans sa catégorie ; on est son propre passé, comme celui de la société, et on est son propre projet d’avenir, qui doit s’inscrire dans le projet de la société.
ψ On utilise souvent les mots civilité et incivilité. Le premier peut contenir parfois un peu d’hypocrisie. Le second, on sait très bien de quoi il s’agit. Nous voyons depuis quelques temps des comportements qui nous révoltent, comme ceux, par exemple, des personnes qui agressent des médecins dans les services d’urgence, ceci parce qu’on ne soigne pas assez vite un de leur parents.
Pourtant, c’est tellement plaisant de vivre avec des gens qui se respectent. Par exemple, si je laisse une voiture passer, que j’aie priorité ou non, et que l’autre conducteur me fait un geste de la main en remerciement, c’est un petit moment de bonheur qui me réconcilie avec mon prochain ; c’est la courtoisie, laquelle est définie par toutes les petites attentions parfois insignifiantes, qui sont appréciées par ceux qui ont un peu d’éducation. La courtoisie, même si elle est parfois décriée comme un concept désuet, reste une marque de savoir vivre, de prévenance, de considération de l’autre.
Dans ce même sens, dans un de ses articles publié en 2012 dans le supplément hebdomadaire Semanal du quotidien El Païs, l’écrivain et journaliste Pérez-Reverte évoque que lors d’un séjour récent à Paris, en une matinée où il avait pris un café au Flore, puis acheté des cigarillos, « on m’avait dit six fois « s’il vous plait » et huit fois « merci » ; j’étais épaté ! » C’est là l’image qu’on souhaite conserver d’une certaine propension à la courtoisie, source du « bien-vivre ensemble ».
Dans bien des pays, comme en Espagne, même si vous parlez correctement la langue, on reconnaît les Français à ce qu’ils sont les seuls à dire toujours « s’il vous plait » et « merci ». Finalement, cela cadre avec l’esprit depuis quelques années dans ce pays, qui est passé d’une forte solidarité dans la guerre, dans la grande misère, à un individualisme patent la paix revenue. Politesse et courtoisie, utilisent le même vocable en espagnol : « cortesia ».
(A suivre)
Extraits de restitution d'un débat du café-philo
avec lequel je garde un lien privilégié
en tant qu'un des artisans de sa création.