Regards philosophiques (138)
Thème :
« Savons-nous vivre en société ? »
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Débat (Suite) :
ψ Vivre en société ne consiste pas en une soumission aveugle, ni être pris dans une tradition pesante, mais ce sont des efforts qu’on doit faire vers un avenir désiré par chacun. C’est aussi un acte de courage, même si on doit faire face à une réalité pleine d’imperfections. Mais on peut aussi rester là les bras croisés.
ψ Des lointains cousins et un peu nos ancêtres, les primates, ont fait les premières sociétés. Comme nous, ils peuvent être coopératifs, altruistes ou violents. Ceux qui sont les plus agressifs, les plus individualistes, ce sont les chimpanzés. En revanche, ceux qui sont les plus sociaux, qui connaissent l’empathie, la sympathie, ce sont les bonobos ; ils pourraient nous donner des leçons du « bien vivre ensemble » (même s’ils règlent parfois leurs conflits par « un gros câlin », ce que nous ne sommes pas forcément prêts à imiter). Néanmoins, ce que nous appelons « humanisme » n’est pas toujours à la hauteur de ce que nous pourrions appeler le « bonobisme ».
ψ Nous ne pouvons pas être dans cette société et ne pas nous poser la question : « Où va cette société ? » Quand je vois ces technologies de gestations par autrui (GPA), cela me fait peur. Aux USA, on peut acheter des ovocytes sur catalogue, avec les caractéristiques (par exemple : blonde, yeux bleus, etc.) et passer un contrat. C’est très cher, mais maintenant la concurrence en Inde offre de meilleurs prix. Je ne me sens pas bien dans ce projet de société.
ψ Nous avons mis en avant le principe : « être dans la société ». Pour cela, il y a plusieurs possibilités : est-ce qu’on peut assumer tout à la fois sa singularité et assumer la société avec tous les défauts ? Ceux qui abandonnent finissent misanthropes ; ils se referment sur eux par déception. Puis, il a ceux qui restent dans la nostalgie : « de mon temps », « c’était mieux avant ! » Avec cette même désillusion de la politique, nous avons les réactions comme : « tous pourris ! » Puis, il ceux qui veulent agir, s’engager, critiques mais actifs, même s’ils ne sont que des grains de sable. « Ceux qui vivent sont ceux qui luttent », disait Victor Hugo dans Les châtiments. En fonction de mon tempérament, je ne pourrais pas vivre dans cette société sans y prendre une part active, dans la vie associative, dans la politique. Même si cela ne change pas le cours des choses, il y a toujours un effet d’entraînement.
ψ Nous sommes dans un monde qui « dé-pense ».
ψ Notre société actuelle est axée sur le profit à court terme, le chiffre d’affaire ; on voit de plus en plus d’entreprises qui se créent avec des fonds anonymes. On fait la société avec des gens sans identité.
ψ Vivre en société nous oblige ; nous sommes cet « animal social » (dont parlait Aristote). Mais cette barrière de « moi » à « nous » est toujours là. Elle est entretenue par une idéologie qui, avec John Locke, une des références du libéralisme économique, nous dit que l’intérêt particulier peut primer sur l’intérêt général, qu’on ne peut nier à l’homme son « droit de nature » ou qu’on peut faire société en dehors de toute autorité collective. Nietzsche a dit dans Le gai savoir, a minima : « Gardons-nous de déclarer qu’il y a des lois dans la nature. Il n’y a que des nécessités : là, nul ne commande, nul n’obéit, nul ne transgresse. » Là où il n’y a pas d’État, il n’y a pas de société au sens moderne, il n’y a que des individus. La dérive du droit individuel, nous la voyons avec la prolifération des armes aux Etats-Unis (en vertu du deuxième amendement de la Constitution des Etats-Unis), dans une société héritée des pionniers, où chacun s’arme pour se protéger de son prochain.
Par ailleurs, la difficulté de faire société est aussi liée, nous dirait Freud, à nos pulsions, lesquelles peuvent être exacerbées devant certaines situations. On les réprime, mais on les laisse aussi s’extérioriser, comme en voiture où des conducteurs se défoulent, et, là, on entend des noms d’oiseaux ! Est-ce un de ces nécessaires exutoires pour pouvoir vivre en société ? Ces pulsions non contrôlées peuvent être la conséquence d’un mal-vivre avec soi, lequel mal-vivre avec soi se traduit aussi par un mal-vivre avec les autres.
ψ « Si vous ne traitez l’homme que dans la mesure de ce dont il a besoin, vous le traitez aussi mal qu’un animal. » [Cette Citation proviendrait de la pièce Le roi Lear de Shakespeare.]
ψ Je sais que je n’ai pas la possibilité de changer le monde, mais en revanche, pouvoir vivre en société, c’est, pour moi, m’efforcer d’être le moins fière possible, d’être honnête dans mes propos comme dans mes actes, de savoir communiquer avec sincérité, de savoir regarder l’autre sans a priori, de savoir parler d’espoir à ceux qui l’on perdu, de savoir faire confiance et de donner de l’amour et de la fraternité.
(FIN DU THEME)
Extraits de restitution d'un débat du café-philo
avec lequel je garde un lien privilégié
en tant qu'un des artisans de sa création.