Roman : La rivière savait… (3)
(Suite)
Mamilou venait souvent m’y rechercher avant que la nuit ne tombe. Elle savait exactement où je nichais mon petit corps d’enfant. Sous l’aulne au regard triste incliné vers la rive chantante, les mouvements hypnotisants de l’onde revenaient, sans cesse renouvelés. C’était un véritable cabaret d’oiseaux venus là pour s’y nourrir et s’y abreuver. J’écoutais ce doux murmure mêlé au pépiement des pinsons et des chardonnerets pétillant de toutes parts. Les rouges-gorges et les mésanges cherchaient des baies dans les buissons, les merles se nourrissaient de limaces, d’escargots, prélevant au passage les siliques de la monnaie du pape pour faire leur nid alors que les étourneaux se délectaient de fleurs de pissenlit. J’observais les hirondelles qui revenaient comme à chaque printemps. Elles faisaient leur nid de paille et de boue toujours au même endroit, sous le toit de la grange. Elles partaient à la recherche de quelques mouches ou de quelques moustiques voletant sous le ciel pur des beaux jours, tandis que le bouvreuil, manifestant ses exploits d’équilibriste sur les branches de l’aulne, picorait les graines de ses strobiles. J’étais si bien, me laissant absorber par la douceur de l’herbe tiède et par l’odeur de la terre humide. C’est dans ce lieu onirique que naviguaient mes rêves d’enfant, oubliant parfois que la cloche de l’église m’appelait pour déjeuner. Soumise suivait mon ombre pas à pas. Elle se couchait là, près de la rive et je ne me sentais jamais seule à ses côtés. C’est Laurent, mon parrain qui me l’avait offerte pour un Noël. Je me souviens de ces merveilleux Noëls d’enfance. Nous partions sur le chemin afin d’assister à la messe de minuit. Nous marchions dans la nuit glacée, souvent dans la neige. Le froid ne nous faisait pas peur. Nous étions habitués. Quand nous rentrions, avant l’arrivée magique des cadeaux, nous dégustions la soupe au fromage gratinée dans les bols en terre cuite que Mamilou avait pris soin d’enfourner avant de partir. J’ai toujours trouvé la messe extrêmement ennuyeuse. Je décrochais à l’heure du sermon. Pierre et moi avions besoin de canaliser notre énergie survoltée par l’excitation de la fête. Nous prenions systématiquement le fou rire à ne plus savoir comment le maîtriser, sachant que cela contrariait fortement l’entourage.
L’abbé Lucas n’en saurait rien, sans quoi un autre sermon nous attendrait au catéchisme du jeudi. Seuls, les cantiques retenaient notre attention. J’aimais ces chants mélodieux que l’orgue harmonisait au point d’atteindre mon émotion. Touchée par la beauté du son, j’y allais de ma petite voix, mélangée à celle des praticiens, connaisseurs émérites des répons, confirmant leur assiduité et leur foi engagée. Ces prières et ces chants qui nous restent fidèlement en mémoire jusqu’à l’acmé de nos jours, où, en quête de plénitude, ils nous insufflent la force de vivre encore un peu. Sur le chemin du retour, je les fredonnais encore dans ma tête, flottant dans ce duvet blanc sous un ciel meringué, chronique d’un spectacle en noir et blanc. Vertigineusement, je me sentais pousser des ailes.
Noël !
Le givre a dessiné Noël sur mes carreaux
Étoilés de cristaux...
J’ai froid de mes hivers, j’ai froid de mon enfance
Et de tant de silences que d’absences.
Noël ! Manteau de pluie
Noël blanc, Noël gris
Noël sous le soleil éclaté dans les yeux
De l’enfant attendri qui cherche dans les cieux
La venue d’un traîneau tiré par de grands rennes
Que la magie entraîne
Jusqu’au pied du sapin
Qui s’allume et s’éteint.
Noël !
Cadeau du ciel
Noël ! Tendres émois
Qui viennent chaque fois
Réveiller le passé et les trésors précieux
D’un monde merveilleux
Enfouis au plus profond
De mes sillons.
Le givre a dessiné Noël sur mes carreaux
Étoilés de cristaux...
(A suivre)