Roman : La rivière savait… (5)

Publié le par M. P.

(Suite)

Laurent était le frère aîné de mon père. Il m’avoua, un soir d’hiver où la rivière me manquait, avoir le même engouement pour ce lieu envoûtant. Il évoquait avec nostalgie les doux moments de son enfance en compagnie de son inséparable frère ; leurs parties de pêche, la cueillette des champignons, ainsi que les rigolades, surtout quand il chahutait Lucien, lui montrant un crapaud dont l’aspect lui donnait la nausée.

Dans ce bain de verdure aux essences champêtres, la lumière glissait dans les feuillages à la rencontre d’ Éole. Cela rendait ce lieu apaisant, le feuillage estompant les contours de ce ciel bleu intense arrosé par la fraîcheur que prodiguait l’onde. Laurent appréciait cette ambiance dynamisante, captant l’énergie de ces rais de lumière pour mieux se l’approprier. Le soleil illuminait de ses feux la floraison estivale qui poussait à profusion.

Les jours d’hiver ou par mauvais temps, je n’y allais malheureusement pas.

Ces journées me paraissaient interminables. Mamilou en profitait pour m’apprendre à coudre, à broder, à tricoter ou à faire de la cuisine ou de la pâtisserie. J’aimais tourner la confiture qui moussait dans le grand chaudron de cuivre. J’aimais aussi découper, à l’aide de petits moules, la pâte à beignets. Les merveilles ! Recette ancestrale que Mamilou gardait précieusement dans son livre de cuisine. Élise, elle, s’occupait du potager. Pierre, mon cher et tendre cousin, très attaché à sa mère, la suivait partout, apprenant, en l’observant, le travail de la terre. Tout comme elle, il ne passait pas un jour sans y mettre les mains. Moi, j’étais peu observatrice, trop distraite et rêveuse pour m’y intéresser vraiment. J’aimais cependant l’ambiance qui y régnait. Élise travaillait cette terre avec amour et en prenait grand soin. Elle avait eu l’idée de séparer les différentes cultures de petites haies de buis taillées au cordeau. Le buis ! Cette douce odeur si particulière que je peux reconnaître n’importe où les yeux fermés.

Un matin où Mamilou préparait la garbure, elle m’envoya chercher un poireau dans le jardin. Pierre en rit encore lorsque je raconte cette anecdote. J’avais déterré de l’ail à la place ! Mamilou avait tant ri, qu’elle en avait pleuré.

Ces journées là, où nous restions au chaud, Mamilou en profitait pour me faire réviser mes leçons. Je dis toujours avec humour que la rivière avait dû emporter mon cartable un soir d’orage où le courant l’avait fortement chahutée. Mais Mamilou voyait cela toujours d’un mauvais œil, désirant me savoir plus assidue dans mes études.

Je ne sais pourquoi je n’ai jamais pu lui dire « Maman ». Peut-être ne me l’a-t-elle jamais demandé ?

L’enfance, temps d’insouciance à la fois si doux et si obscur !

Mamilou s’exprimait peu. Sa sensibilité excessive ne m’autorisait pas à la questionner.

Pauvre Mamilou ! Si frêle et si fragile ! Elle me disait parfois de sa voix sanglotante : « Lucien aurait tant aimé entendre tes rires courir dans la maison ! »

Maman

Comme un diamant

Unique, irremplaçable

Dont l’amour inconditionnel

Éternel

Infaillible

Inflexible

A la douceur de peau

D’un câlin aux bras chauds

Ondulé du plaisir

D’un sourire

Éclatant

Regard aimant

A l’odeur vanillée d’un gâteau

Transportée par le Sirocco

A l’heure d’un goûter champêtre

D’où vient de naître

Un bouquet de fleurs des champs

Des éclats de voix, de rires, de chants

Descendent des rivières

Jusqu’à la mer

Mère nourricière qui donne le jour

Et transmet l’amour

Que ta source

Dans sa course

Puisse faire

Le tour de la terre

Je t’emporte avec moi

Dans mes émois

Afin d’emplir

Ton absence et mes silences

Du souvenir

De mon enfance en errance.

 

(A suivre)

Publié dans culturels

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