Regards philosophiques (144)

Publié le par G-L. P. / J. C.

Thème :

« Internet, un univers postmoderne ? »

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Introduction  :

En avril 2012, il y avait 677 millions de sites Web et plus de deux milliards d’utilisateurs (selon différentes sources, notamment l’UIT et Internet Word Stats). La dématérialisation des supports de la connaissance, en s’affranchissant de l’espace et du temps, offre de nouvelles manières d’organiser sa vie. Nous sommes entrés dans la 4ème période de l’histoire de l’humanité, celle d’Internet et de la Révolution numérique. C’est la phase de la domination du capitalisme financier. S’interroger et débattre sur les termes Internet et postmoderne, renvoie en fait à se poser la question de la compréhension du monde dans lequel nous vivons. L’articulation entre une notion ambiguë, postmoderne, et une application en réseau, Internet, pourraient sembler, dans un premier temps, malaisée, voire même contradictoire. Quoi de commun entre la mise en réseaux de flux de communications qui caractérise Internet, aussi appelé la Toile, le Web, et la réflexion sur « l’après » modernité grâce ou à cause du préfixe « post ». Plusieurs auteurs, de différents pays, se sont exprimés sur la postmodernité. Il existe à ce propos, une multitude de postmodernités, aussi bien dans les arts, les lettres, l’architecture, la peinture, l’esthétique, la politique, y compris dans le domaine de la psychanalyse, et, bien entendu, il existe une philosophie postmoderne. D’ailleurs, aux Etats-Unis, la philosophie postmoderne est appelé « French Theory ». Le terme postmoderne est beaucoup plus ancien que le débat contemporain qui l’entoure. Arnold Toynbee a suggéré, dès 1934, d’appeler l’histoire de l’Occident après 1875 « l’âge postmoderne » (« the postmodern age »). Je vais néanmoins mettre l’accent, pour la clarté de notre débat, sur ce qui facilite la compréhension de notre environnement et qui permet d’échanger entre nous. Plusieurs auteurs donc, plusieurs champs d’investigation, mais celui qui est devenu le héraut incontestable de la postmodernité, c’est bien Jean-François Lyotard. Ce dernier affirme la fin des grands récits ; il les appelle métarécits dans son essai « La Condition postmoderne » paru en 1979. Il s’agit d’une réflexion sur la légitimation du savoir à l’âge postindustriel dominé par les moyens de communication à grande échelle.  Dès lors, pour comprendre le postmoderne, il nous faut donc, dans un premier temps, interroger la modernité. Les grandes orientations de la pensée moderne sont caractérisées par l’universalisme, l’individualisme, le rationalisme, avec l’avènement d’une nouvelle science et du primat de la raison scientifique. La modernité est directement issue des Lumières (où prédominent la raison, l’universel, la recherche du progrès par la science). La thèse centrale de Lyotard est que le progrès des sciences a rendu possible et a permis la fin de la crédulité du monde ; il parle de désenchantement à l’égard des métarécits de la modernité, qui visent à donner des explications « englobantes » et totalisantes de l’histoire humaine, de son expérience et de son savoir. Les deux grands récits narratifs, qui justifiaient le progrès scientifique à partir des Lumières, seraient, selon lui, d’une part, le récit de l’émancipation du sujet rationnel qui avançait dans sa quête de justice sociale (Kant, Rousseau) et, d’autre part, le récit hégélien de l’histoire de l’Esprit universel. Il n’y a donc plus d’émancipation par la raison et il n’y a donc plus d’universalisme dans la postmodernité.Après Auschwitz, nous dit Lyotard, mais également en raison de l’informatisation de la société et du passage à une société postindustrielle, le savoir scientifique perdrait ces légitimations. Le savoir est alors réduit à une simple « marchandisation informationnelle » dénuée de toute légitimation.  La société moderne était la société du progrès, de l’avenir ; la société postmoderne est celle du désenchantement, du présent. Il ajoute, que ces récits sont des fables, des mythes, des légendes, bons pour les femmes et les enfants. Selon Lyotard, l’allégorie de la caverne de Platon, raconte pourquoi et comment les hommes veulent des récits et ne reconnaissent pas le savoir. Comme il n’y a plus de raison, comme il n’y a plus d’universel, comme il n’y a plus de thème fédérateur,  c’est l’éclatement de la pensée, c’est l’éclatement du savoir, c’est l’éclatement de la culture. C’est l’époque du relativisme général.  C’est cela qui définit en premier lieu l’univers de l’époque postmoderne dans laquelle nous baignons. A l’âge postmoderne, chaque domaine de compétence est séparé des autres et possède un critère qui lui est propre. Chacun doit se résoudre à vivre dans des sociétés fragmentées ou coexistent plusieurs codes sociaux et moraux, mutuellement incompatibles.  Voilà le cadre, l’idéologie dans laquelle se développe Internet. Et Internet à son tour agit sur cette idéologie, de sorte que les deux termes sont aujourd’hui interdépendants. L’un ne va pas sans l’autre et l’un s’est développé à partir de l’autre. Si bien qu’aujourd’hui, tout est Internet, tout passe par Internet. Le numérique est désormais au cœur de notre quotidien. On le trouve dans la plupart des objets et des services que nous utilisons tous les jours, qu’il s’agisse d’ordinateurs, de téléphones mobiles, d’appareils photos, de baladeurs audio, de téléviseurs à écran plat, de consoles de jeux ou de récepteurs GPS, etc. Il se niche aussi de façon moins visible dans les véhicules, les outils industriels, les dispositifs médicaux, les systèmes décisionnels, etc. En l’espace de quelques années à peine, toutes ces technologies ont déjà profondément changé notre vie jusqu’à en devenir indispensables. Internet, le numérique, va continuer encore plus à se développer à l’avenir. Nous n’en sommes qu’au tout début.Un, une élève qui passe, cette année, son baccalauréat (comme ma propre fille de 17 ans), aura, durant sa scolarité, vu naître le « Tchat », Wikipédia, Facebook, YouTube, Twitter, les tablettes tactiles, etc. Force est de constater que tout va tellement vite qu’en l’espace de quelques mois, du fait de l’usure ou de l’obsolescence programmée, tel ou tel objet est vite dépassé. En définitive, qu’est-ce qui caractérise le mieux notre époque ? Avec Internet, vivons-nous la tyrannie de la vitesse ? Où est la place de l’homme, lorsque ce même homme est devenu un homme-prothèse augmenté ?

(A SUIVRE)

Extraits de restitution d'un débat du café-philo

http://cafes-philo.org/

avec lequel je garde un lien privilégié

en tant qu'un des artisans de sa création.

 

Regards philosophiques (144)

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