Regards philosophiques (155)
Thème :
« La culture favorise-t-elle le lien social ? »
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Débat (suite) :
► Le fait d’avoir des activités et des préoccupations d’ordre culturel ouvre beaucoup sur les autres. Je me place déjà du point de vue de l’individu : la culture personnelle passe par l’ouverture à différentes connaissances ; elle est indispensable pour construire son identité ; elle aide à comprendre et soi et les autres.
Mais si des réflexes identitaires trop importants se mettent en place, cela peut conduire à une radicalisation de la pensée et à l’exclusion des différences. En cela, on pourrait dire qu’un excès de culture identitaire peut détruire le lien social. Je redirai, ce qu’on a souvent exprimé dans nos débats, qu’une nation très cultivée a pu devenir au siècle dernier la plus barbare.
► Aujourd’hui,, c’est la journée de la gentillesse, qui participe du lien et de la culture, gentillesse à « cultiver ».
Il existe d’autres formes de débats que les cafés-philo ; ce sont, sur le Net, des wikis, des tchatches, des débats virtuels, et, là, culture et lien social ne se conjuguent pas réellement.
Pour moi, le débat, c’est comme ce soir, avec votre présence physique, avec la convivialité, nous ensemble physiquement. On n’est pas des amis de Facebook, où l’on peut avoir 3000 « amis » et n’en connaître de visu que 23. Ce qui n’empêche pas Internet d’être parfois un apport culturel très intéressant.
► Certains éléments dans la culture favorisent le lien social, d’autres les distendent. Donc, il faut savoir préciser ce que chacun met dans ce mot culture.
► La culture, c’est quelque chose d’acquis, dans le sens où ce n’est pas inné. Cela ressort d’émotions et de sentiments. Il m’est arrivé de me retrouver dans des pays dont je ne connaissais pas la langue ; pourtant, avec des gestes, des mimiques se sont créées et parfois des liens que je n’ai pas retrouvés ailleurs, même avec des gens qui ont la même langue et la même culture que moi.
► Nous avons évoqué la culture de masse qui finalement n’apporte pas de lien social, qui peut créer l’individualisme et, voire, aller jusqu’à une forme d’aliénation. Ceci parce que j’ai l’impression que la culture est devenue marchande, un produit culturel : on vend Venise, les Pyramides, la Joconde, Platon à des consommateurs qui n’ont pas fait l’effort d’acquérir un minimum de culture préalable. Tout le monde a vu ces hordes d’asiatiques qui ont une heure pour visiter le Louvre ou le château de Versailles et « font » l’Europe en une semaine. C’est catastrophique : ce n’est pas de la culture, cela ! Que leur restera-t-il après ce voyage ?
Ce sont là des consommateurs qui n’ont pas d’intérêt pour la tradition artistique de leur pays ou des pays qu’ils visitent. Ils vont de villes culturelles en villes culturelles, comme s’ils allaient à Disneyland. Là, c’est la culture de masse dans tout ce quelle a de négatif.
►La culture, c’est l’ouverture sur des sujets divers ; cela multiplie les chances de rapprochement des personnes sur des thèmes communs ; en cela, elle favorise la liaison. Pourtant, bien souvent, une différence de culture, de niveau culturel, peut entraîner l’incompréhension et des sentiments de rejet, tant de la personne cultivée que de la part de celle « qui le serait moins ». Il manque alors un lien, une passerelle, un terrain commun pour que les hommes se retrouvent.
Ce qui rapproche par la culture peut être du partage de connaissances communes ou d’une communion qui s’établit avec des êtres, ce que nous découvrons dans le roman de Léonor de Recondo : Pietra viva : Michel-Ange va tour à tour créer des liens d’estime avec les carriers qui lui fournissent le marbre pour le tombeau de Jules II et, dans un autre cadre, se créent des liens d’émotion, d’affection pure avec deux enfants et ce lien semble être le plus fort.
Par ailleurs, j’ai essayé de mettre le nez deux minutes sur Google et l’on s’aperçoit de l’importance du lien social sur le plan philosophique. Tous les philosophes s’en sont occupés d’une façon très importante et beaucoup cherchent, comme Rousseau, Aristote, à fonder ce rapport dans la société et dans la cité. Aujourd’hui, cette idée du lien social se transforme avec Internet, avec la multiplicité des échanges. Mais la question se pose : s’agit-il toujours de relations valables et quelle est la valeur de ces relations ? Pratiques, commerciales ou spirituelles ?
►Nous voyons que la réponse à la question dépend essentiellement du sens que nous donnons au mot culture. Parce que ce mot a deux sens différents et, à la limite, opposés. A la base, il y a la culture de l’acquis, ce qui s’apprend. Donc, il y a culture d’une communauté et son lien social. Dans l’autre sens, nous sommes dans la culture générale. D’un côté, elle construit du lien dans une communauté et, de l’autre côté, elle creuse le fossé avec toutes les autres communautés. La culture générale, on l’a dit, peut exclure, parce qu’il y a une culture de l’élite qui sélectionne.
(A SUIVRE)
Extraits de restitution d'un débat du café-philo
avec lequel je garde un lien privilégié
en tant qu'un des artisans de sa création.