Regards philosophiques (156)

Publié le par G-L. P. / J. C.

Thème :

« La culture favorise-t-elle le lien social ? »

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Débat (suite) :

► On a depuis le terme latin de la culture (« cultura »), les deux sens de la culture, agricole et humain, d’un champ cultivé à un homme cultivé. Dans les deux sens, il y a là l’idée de quelque chose que l’on sème, de quelque chose qu’on va récolter, quelque chose qui va pousser, enrichir, permettre de s’épanouir et de s’ouvrir. C’est le plus souvent un travail collectif (au moins dans l’agriculture traditionnelle). Cela renvoie à Voltaire : « Il faut cultiver son jardin » (Candide). Il y a plein de ces sortes d’images chez les philosophes.

Par ailleurs, il y a ce rapport ambigu entre le collectif et l’individuel. Se cultiver, s’instruire,  est souvent une démarche personnelle. C’est aussi la fameuse citation [attribuée à Edouard Herriot] : « La culture, c’est ce qui demeure dans l’homme lorsqu’il a tout oublié ». On a souvent employé  le mot bagage culturel d’un individu et bagage culturel collectif de la société, d’une civilisation, d’une nation, comme un ciment auquel on adhère, une transmission, ce qu’on partage et qui nous appartient à tous. Dans une démarche culturelle, il y a des disciplines et des matériaux très variés. En puisant sur ce fonds commun, on peut choisir une démarche purement individuelle, alors que les pratiques culturelles sont du partage, notamment parmi les plus grands moments de la culture, et c’est dans ce partage que l’on trouve le plus de lien social ; on en revient à l’émotion et à l’enthousiasme évoqué lors d’un beau spectacle.  

► Revenant à culture (kultur) et civilisation, on peut être très cultivé et pas très civilisé (autre approche).

Par ailleurs, on a évoqué culture et niveau social. Est-ce qu’il y a une culture élitiste, une culture dorée sur tranche, réservée à des initiés ? Est-ce que le fait d’habiter tel quartier, d’être dans une famille donnée, ne définit pas dès le départ les niveaux culturels ? Là, les liens sociaux vont-ils franchir les barrières ?

Quant à Internet, on le dit parfois aux antipodes d’un lien culturel qu’était, il y a plusieurs siècles, l’oralité. Cela pose la question : nos moyens de communication, depuis les veillées au coin du feu, font-ils régresser le lien social ?

► C’est peut-être parce qu’elle crée du lien social que la culture, j’entends, la culture en liberté, a souvent été redoutée, voire mise sous boisseau par toutes les dictatures. Le dictateur Franco, dans ses mémoires, écrit : « C’est en effet dans le tissu culturel que l’hydre subversive se recompose le plus rapidement, sous prétexte d’exercer une liberté d’expression et de critique.» Un demi-siècle plus tard, dans le même pays, la culture est encore mise en cause : lorsque la France défend son exception culturelle, le premier ministre espagnol d’alors, José Maria Aznar déclare, en 2004 : « L’idée de créer une exception culturelle française vient des pays dont la culture est en déclin. » (Source : « Exception culturelle ». Wikipédia). C’est peut-être justement parce que la culture crée du lien social, qu’elle est un obstacle au formatage intellectuel, que lien social et solidarité sont très proches, que la culture a si souvent fait l’objet d’attaques. 

Dans le même ordre d’idées, concernant notre culture, on voit  dans certains pays d’Afrique francophones les intégristes qui favorisent l’enseignement de l’anglais et pas du français ; ceci parce que la langue anglaise est surtout un moyen, alors que la langue française est surtout une culture, une culture laïque et sans barrière.

Aujourd’hui, la culture continue d’être vue comme un obstacle à une idéologie, particulièrement la culture participant à une identité. Ainsi, pour ceux qui souhaitent une culture globale, un village global, sans nation, sans Etat, ou encore, une Europe fédérale, la  culture identitaire est assimilée au communautarisme, à un repli identitaire. Cela est résumé dans l’article d’Henri-Pierre Jeudy « Oublier son identité culturelle est une ouverture au monde », paru dans Libération du 15 août 2008 : « A force de considérer que chaque communauté a un droit de reconnaissance de sa « propre » culture, l’identité culturelle devient une pancarte qui circonscrit le territoire de l’autre pour empêcher le risque de contamination des cultures. [...] Cette référence à l’identité culturelle prend toujours l’allure d’une résistance à l’universalité qui risque de conduire au « communautarisme » [...]. Le désir d’oublier sa culture est une ouverture sur le monde [...]. » 

► Je me pose la question : à quoi sert la culture qu’on garde pour soi ? Je rejoins aussi ce qui a été dit quant au risque d’exclure ; la culture doit avoir pour ligne l’amour de l’autre, le désir de partage, le respect de l’autre pour ne pas (éventuellement) l’humilier. Malheureusement, on peut voir des personnes qui se disent très cultivées et qui ne sont pas pour autant intelligentes, qui étalent leur savoir pour humilier.

A ce propos, j’ai pensé à la fable de « La cigale et la fourmi » en écrivant ce texte :

L’insouciante  [la cigale] et la revêche [la fourmi] :

Afin de nourrir son corps, l’insouciante chanta tout l’été, laissant son esprit inassouvi et affamé. Mais son manque de culture la laissa démunie et fort chagrinée. Elle alla crier famine chez Revêche, la voisine expérimentée, la priant de lui prêter quelques grains de connaissance qui lui tiendraient lieu de semences pour qu’à la saison nouvelle, la culture ayant germé, elle soit en confiance pour braver la société. Mais Revêche n’est pas prêteuse, c’est là son moindre défaut.

- Que faisiez-vous au temps chaud ?, demanda-t-elle à l’insouciante emprunteuse.

- Je chantais, répondit-elle.

- Ah ! Vous chantiez ! J’en suis fort aise ! Eh bien, dansez maintenant !

Donc, la morale nous dit qu’il y a ceux qui possèdent des connaissances, mais qui ne sont pas prêt à les partager avec n’importe qui.

(A SUIVRE)

Extraits de restitution d'un débat du café-philo

http://cafes-philo.org/

avec lequel je garde un lien privilégié

en tant qu'un des artisans de sa création.

 

Publié dans culturels

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