Roman : La rivière savait… (37)
La chaleur de ce dimanche soir était encore caniculaire. En allant poster ma lettre à Pierre, malgré mon renoncement, j’ai contourné le chemin pour rejoindre la rivière.
Béni s’y trouvait. Il était là, assis au bord de l’eau, à l’endroit même où je l’avais quitté l’autre jour. Il me vit et, alors que j’approchais, il me lança : « - Je pensais justement à vous ! »
Puis, les yeux rivés sur l’eau, il ajouta d’une voix plus douce :
« - Je sais bien que j’ai tors, que votre coeur est ailleurs, mais, êtes-vous seulement heureuse ? » Je me suis sentie triste tout à coup, j’avais tant besoin d’affection, j’étais fragile et si vulnérable ! La présence soudaine de Béni semblait combler ce vide qui me torturait.
Il vit certainement que cela avait jeté un trouble sur moi, il enchaîna :
« - La vie est courte Laurema, il faut savourer chaque jour qui passe, savoir profiter des bons moments, apprécier le bon temps, la jeunesse ne dure pas éternellement. On ne vit qu’une fois... ... Regardez ! Cette soirée s’annonce être merveilleuse ! Savez-vous seulement la chance qui s’offre à nous d’être là, dans ce lieu paradisiaque ? »
« - Je ne sais pas, je ne sais plus très bien ! » répondis-je un peu confuse dans un sanglot étranglant ma voix. « - Assieds-toi ! Veux-tu que nous parlions ? Viens-tu souvent ici ? »
Alors, je lui ai raconté mon histoire. Jamais auparavant je n’avais ouvert mon coeur de cette façon. De temps en temps, ma voix déraillait à cause de l’émotion. J’avais comme un flou dans ma tête. Il m’avoua qu’il était amoureux fou de moi depuis notre première rencontre. Qu’il n’avait de cesse de me revoir. Que ses nuits et ses jours étaient remplis d’images de moi. Je mis ma tête dans mes mains pour pleurer. Il caressa mes cheveux de sa main. J’avais la douloureuse impression de ne plus être maître de moi-même. Mon coeur était tiraillé ! J’étais à la fois heureuse et désemparée. Je devais rentrer. Mon coeur battait la chamade. Je n’étais pas triste, seulement désemparée et coupable de trahison. Cette pulsion déraisonnable qui me poussait vers lui ! Il dit alors qu’il reviendrait un soir de la semaine après son travail. Moi, j’avais besoin de réfléchir. Mes pensées étaient brouillonnes. Il revint le mercredi en fin d’après-midi. Pris par son travail, il me proposa une sortie en montagne le dimanche suivant, mais je déclinais l’invitation, prétextant que j’avais besoin de temps. J’étais perdue ! Moi qui avais toujours su faire mes choix, mener ma vie comme je l’entendais, je vivais en plein désordre. Lorsque le coeur et la raison ne dansent plus au même diapason, c’est le désarroi ! Personne ne peut rien pour vous. J’ai quand même cherché refuge auprès d’ Élise. J’avais tant besoin de me confier à quelqu’un ! J’en conclus que j’avais surtout très peur de voir souffrir Pierre que j’aimais toujours infiniment. Mais en même temps, je lui en voulais de m’abandonner. Qui était le plus égoïste des deux ? N’était-il pas coupable lui aussi de me laisser seule à l’attendre ? Je lui ai écrit que j’avais besoin de lui, que je n’allais pas bien, qu’il fallait que je lui parle ... Il devait rentrer très bientôt : « Je t’embrasse bien affectueusement en attendant mieux ! » m’écrivait-il. Le samedi suivant, il y avait un mot dans la boîte aux lettres me disant : « Ce soir, je t’attendrais à la rivière ! Besos de Béni. » Une petite voix me disait : « Va où ton coeur t’appelle ! » Alors, j’y suis allée. Par cette nuit étoilée, sous un ciel immense, la nature sembla nous donner son accord. Nous nous sommes aimés ! Enlacés dans l’herbe folle, nous avons fait l’amour. Ce lieu si familier m’a paru soudain étrangement nouveau.
Béni promettait de me rendre heureuse. L’avenir nous souriait. Lui, faisait plein de projets.
Si je le voulais, nous pourrions nous marier très vite. Nous irions vivre là-bas, dans son pays, dans la maison blanche au bord de la mer. Son oncle lui cédait son petit commerce. L’Espagne ! Pays tant convoité par mes parents. La Méditerranée ! L’Andalousie ! J’étais éblouie par les feux d’un soleil miroitant sur l’eau calme et limpide du bonheur. « Viens ! » me disait-il insistant, « Nous pourrions partir si vite, quitter cette vie morose qui ne nous apporte rien. » Ma vie ? Était-elle déjà tracée ? Sommes-nous réellement responsables de nos choix ? Qui les influence véritablement ? Pourquoi la vie nous envoie–t-elle tant d’épreuves ?