Roman : La rivière savait… (38)

Publié le par M. P.

(Suite)

Tout paraissait être si simple pour moi jusqu’ici ! Et soudain, tout devenait si compliqué ! Il fallait que je voie Pierre, que je lui parle. Je devais attendre son retour. Alors, là seulement, je saurais. Je ne lui ai plus écrit. Le mois d’août 1964 s’étirait lentement. Pierre allait rentrer bientôt. Il revint passer le dernier weekend du mois. Il nous fit cette surprise ce vendredi soir à l’heure du souper. Il ne lui restait plus que quelques jours avant la fin de son stage. J’appréhendais cette rencontre. Il fallait lui parler, dire la vérité, être honnête. Même si les mots peuvent faire très mal quelquefois, je ne pouvais lui mentir ni trahir sa confiance plus longtemps. Le samedi, nous sommes partis pour Cauterets. Nous avons pris le sentier « de la Reine Hortense ». Assis là, dans ce pré calme et verdoyant, à l’abri des regards intrusifs de quelques promeneurs, nous avons parlé. J’étais désolée ! Pierre s’en voulait de m’avoir fait languir et disait avoir tout gâché. Il se tapait la tête contre le tronc d’un arbre et mon coeur se soulevait à chaque coup. Il gémissait, disant  qu’il m’avait perdue, qu’il avait tout gâché, que tout était de sa faute... Je ne lui avais pas avoué que nous avions fait l’amour. Maintenant il savait, et moi aussi, que mon cœur battait désormais pour Béni. Mon regard sur lui avait changé. Je le voyais comme un frère, un ami, un confident. Mon amant s’appelait Béni. Rien qu’à cette pensée, je frémissais de joie plus ou moins réfrénée par le chagrin que je causais à Pierre, que j’aimais toujours mais différemment. Il me paraissait encore un enfant, alors que moi, je me sentais devenir adulte. Nous avons pris le chemin du retour sans dire un mot, chacun dans ses pensées. Le lendemain, Pierre était reparti très tôt, sans un adieu. Il nous avait écrit que monsieur Salis le gardait quelques mois de plus et qu’il ne rentrerait très certainement pas avant Noël. Élise et Laurent avaient su. Ils étaient restés très discrets. Ils voyaient toutefois mon moral s’améliorer. « Nous ne voulons que votre bonheur à tous deux. » disait Élise. J’avais pris la décision de partir. Nous nous sommes mariés un soir d’automne et par la suite, nous avons volé vers notre nouvelle vie. « - Je vous écrirais, c’est promis ! » avais-je crié depuis la fenêtre de l’autocar qui nous conduisait vers l’Espagne. J’étais radieuse. Je me sentais pousser des ailes. Le voyage fut long, mais aux côtés de Béni, peu importait ! je vivais chaque instant comme un cadeau. Le ciel était sans nuages et le décor changeait d’une province à l’autre. Passées les routes sinueuses des montagnes aux précipices étourdissants, de villages en villages, nous avons atteint la capitale en pleine nuit. A Madrid, nous avons changé de car. Le bonheur empêchant le sommeil de venir, nous avions peu dormi avant que les premières lueurs de l’aurore ne viennent nous ébouriffer. Le soleil commençait à poindre sur les oliviers dont les ramures vert bronze luisaient à perte de vue. Nous approchions peu à peu de Malaga. J’étais impatiente de voir la mer. Béni était heureux de revoir son pays natal. Son père avait eu de la peine à le voir partir, mais Béni se sentait revivre.             

Cet homme, à forte personnalité, l’étouffait. Ils se disputaient souvent, chacun restant fermement campés sur ses positions. Il me parla de cet oncle qui nous attendait. Il me dit tout le bien qu’il pensait de cet homme généreux. Le temps n’avait rien effacé du souvenir qu’il avait gardé de lui. Faustino Martin avait vu le mariage de sa sœur d’un mauvais œil, ne s’entendant pas avec son beau-frère. Pablo était un homme dur et sévère. Faustino, qui avait une sorte d’instinct comme un sixième sens, sentait qu’il n’était pas fait pour Margarita. Tant d’années passées sans voir cet oncle adoré! Béni était encore enfant la dernière fois qu’il s’étaient vus. Il me conta quelques souvenirs d’enfance encore très précis. Il avait hâte de le retrouver. Enfin, nous étions arrivés à Estepona en fin d’après-midi. Faustino, assis sur son petit banc près de la porte, regardait la mer. Béni n’en revenait pas : « - Comme il a vieilli ! » chuchotait-il. Ils restèrent longtemps serrés l’un contre l’autre, tout émus, avant de se décider à dire quelque chose. Leurs yeux, embués de larmes, parlaient pour eux. Puis, la voix tremblante, Faustino me souhaita la bienvenue « - Usted está aquí en su casa ! » dit-il en désignant sa maison. L’émotion était palpable ! il me prit dans ses bras et m’embrassa bien fort. Son visage basané était fripé comme une vieille pomme. Il marchait lentement, le dos un peu courbé, il semblait usé par les ans. Béni l’avait trouvé très amaigri.

(A suivre)

Publié dans culturels

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