Roman : La rivière savait… (40)

Publié le par M. P.

(Suite)

Comme le temps avait passé ! Je recevais régulièrement des nouvelles de France par Élise. Pierre venait d’être papa d’un petit Maël. Marie, son épouse, était originaire de Vendée. Un séjour dans la région l’avait obligée à consulter. Son jeune chien venait de se faire piquer par une vipère. Elle et Pierre s’étaient revus à plusieurs reprises. Puis, le mariage s’était imposé à eux, Marie étant enceinte. Ils s’étaient installés dans la maison familiale. Laurent avait pris sa retraite et consacrait une grande partie de son temps aux promenades et à la pêche. Élise appréhendait les hivers, toujours très rudes. Sa santé restait fragile, elle perdait chaque fois, un peu plus de vitalité. Elle avait joint une photo du bébé datant du jour de son baptême :

« Maël, 13 octobre 1968 ». J’en avais le cœur serré. Nous aussi souhaitions un bébé.

Béni rêvait d’un garçon. Mais la vie décidait autrement. Je pensais souvent à Mamilou. Elle, aurait prié. Alors j’ai fait une neuvaine à Notre-Dame de Lourdes, lui demandant de me donner un enfant. S’il venait à naître, j’irai en pèlerinage à Lourdes. L’hiver passa, aussi doux que les précédents. La vie suivait son cours. Puis un jour arriva, plein d’espoir et de promesses. Je n’osais y croire ! Mon vœu et mes prières venaient d’être exaucés.

J’attendais un enfant ! Nous étions euphoriques. Béni ne cessait de m’embrasser, me disant :

«  Te quiero, me amor, te quiero ! » J’avais du mal à y croire d’autant plus que je grossissais peu. Ce n’est que le dernier mois que cela me parut véridique. Mais mon ventre rebondi ne m’empêcha pas d’être active jusqu’au bout. J’étais tellement enthousiaste, rien ne pouvait entraver cet élan de vie qui naissait en moi. En ce 7 juillet 1970, Pedro venait au monde.

Je ne cessais d’admirer ce petit ange au doux visage dormant paisiblement dans le berceau de bois que son papa avait construit pour lui. Il me semblait toutefois important d’envisager à quelle date nous irions à Lourdes. Béni détournait chaque fois la conversation.

Je sentais bien qu’il n’envisageait pas de s’y rendre. « Eh bien, j’irai seule avec Pedro ! » avais-je déclaré en colère. C’était la première fois que nous nous disputions.

J’avais toujours tout accepté de lui. La seule chose que je lui demandais voyait essuyer un refus quasi catégorique. Cette promesse à la Vierge, d’une importance capitale à mes yeux, laissait Béni  totalement indifférent, ce qui m’emplissait de colère et d’amertume au plus haut point. « On verra ! » disait-il toujours, détournant le sujet. Ces derniers temps, je le trouvais distant. Il me regardait de moins en moins. Il n’avait d’yeux que pour son fils ou son commerce. Cet été-là avait vu débarquer les nombreux touristes que Faustino avait appréhendés. Les fortes chaleurs et le travail incessant venant rajouter davantage de fatigue à mon état post-partum, me rendaient triste et morose. Je me sentais seule, étrangère parmi les étrangers. Je m’efforçais de garder le sourire, mais j’étais faible et fragile, à fleur de peau.

Un rien venait me perturbait. Mon fils était un amour, j’avais l’impression de ne pas être à la hauteur. Lorsque la fatigue vous assaille, votre moral suit sa gouverne et vous laisse anéantie. Béni me reprenait sans cesse. Je me trompais dans les prix, je rangeais mal les produits, je n’allais pas assez vite ... Il ne posait sur moi qu’un regard désapprobateur toujours plein de reproches, ce qui rendait mon état encore plus médiocre au point d’en avoir perdu le sommeil. Cette nuit là, par contre, j’avais dormi d’un trait, étonnée que Pedro n’est pas réclamé sa tétée. Tôt ce matin là, je m’étais approchée doucement de lui. Je l’avais trouvé là, perdu dans son petit berceau, les yeux clos, le teint pâle et les mains glacées. Un peu de lait avait séché à la commissure de ses lèvres. Mon coeur battait à tout rompre dans ma poitrine, me torturant à en mourir, mes jambes tenant à peine. J’ai crié si fort que Béni est entré presque aussitôt découvrant le petit corps inanimé blotti tout contre moi. Il m’a pris le bébé des bras, hurlant : « Pedro ! Pedro ! » Comme pour chercher à le sortir des ténèbres. Il sanglotait, son fils serré contre lui. Pedro avait régurgité, il s’était étouffé. Les mois qui suivirent se sont effacés de ma mémoire. Je n’ai plus parlé pendant des jours et des jours. Je mangeais peu, je dormais mal, j’avais l’impression d’être morte moi aussi. Je n’avais plus ni force, ni goût à rien. Béni s’énervait : «  Fatiguée, fatiguée, tu n’as que ce mot là à la bouche ! » disait-il méchamment. J’avais cependant remarqué qu’il s’était mis à boire ces derniers temps ; un verre de vin par-ci, une bière par-là, un Ricard à l’apéro, un whisky dans la soirée, sans compter quelques gouttes de rhum dans son café. Il avait pris l’habitude de s’asseoir sur le banc, le soir à la fraîche, tout comme le faisait Faustino. Il pouvait rester là,  assis pendant des heures à fixer la mer ou simplement à regarder le vide qui se trouvait à ses pieds.

(A suivre)

Publié dans culturels

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