Roman : La rivière savait… (42)
Cette saison-là fut extrêmement fructueuse pour le commerce. Beaucoup d’étrangers venaient ici en vacances et je prenais plaisir à bavarder avec quelques français. Ils s’étonnaient de voir les merveilles d’un tel décor venu se nicher entre mer et montagne. Malgré les incessantes transactions immobilières, le site avait quelque peu gardé son charme et son attrait, sa végétation abondant de toutes parts. Les cactus géants, les baobabs, les pins parasols et les palmiers cohabitaient dans une parfaite harmonie. Seule, notre rue, baptisée « Calle de la pineda », n’en avait plus que le nom.
En ce jour de juillet, un an après la mort de notre petit Pedro, Béni était monté faire la sieste. Pour ma part, j’avais ressenti le besoin de marcher. En regagnant la plage, mes pas dans l’eau s’étaient évadés pour aller se perdre au loin, loin du vacarme des vacanciers. A l’écart de la foule, je m’étais allongée sur un large rocher que la mer venait taquiner par surprise, le caressant de son eau tiède et limpide. J’écoutais son murmure. Son clapotis m’avait fait croire pour un instant que j’étais à la rivière. A ce moment précis, un enfant et son père pêchaient la truite dans le Rieutord. Reverrais-je seulement un jour ce lieu salutaire qui m’avait bercée tant de fois ? Pierre racontait souvent à Maël nos jeux d’enfants, parlant de moi comme d’une soeur qui n’est plus. « Est-ce que Laurema aimait la pêche aussi ? » demandait-il à son papa. Élise lui transmettait régulièrement de mes nouvelles et cela lui tenait très à cœur, malgré la douleur toujours présente. Il en était bien conscient, car, à la seule évocation de mon prénom, son coeur gonflait dans sa poitrine torturée, si bien qu’il préférait éviter d’en parler. Étrangement, lorsqu’ils pêchaient à la rivière, il trouvait la force d’évoquer le passé. Ce jour-là, j’ai prié pour que la paix vienne dans le coeur de tous ceux que j’aime et que Pedro repose en paix pour l’éternité. L’eau avait sur moi ce pouvoir miraculeux d’apaiser mes douleurs. La nature opère parfois, comme par magie, sur nos âmes meurtries.
Cette nuit là, à la pointe de l’aurore, je trouvais enfin le sommeil.
Dans la nuit
Une étincelle dans la nuit
Graine d’espoir qui luit
Sous un silence qui respire
J’entends l’aube au loin qui aspire
Les sucs de rose à la rosée
Lueurs de vie rosées
Qui n’en finissent pas de naître
Pour ne plus être
Prises entre jour et nuit
Vivre et mourir à l’infini
Ainsi va
Ainsi bat
Le cœur du monde
Du ventre vide qui gronde
Au ventre plein et indécent
Contrastes insolents !
Retourner le sablier
Laisser couler jusqu’à moitié..
Des incendies noyés
Inondent l’aube endimanchée
Sous un ciel étoilé
Glissent les premières clartés
Dans l’étincelle de la nuit
Je me suis endormie.