Une vie au service des autres (5)
5 (SUITE)
Père Jean avait compris que son invité était ou devait être quelqu'un d'important aux yeux de la police militaire. Mais, le Père Jean campait sur sa position de ne rien dire. Fait dire, qu'il ne savait qui il était et lui avait donné un faux nom. (Il le sut par la suite, mais ne regretta rien de ses faits). Père Jean fut enfermé dans un cachot de 3 m sur 2 m et il n'en ressortait que pour répondre à la police militaire. Son cachot était dans le noir complet, seule une ouverture pour lui donner un bol de riz et un peu d'eau par jour. Comme ses réponses ne variaient pas, ils installèrent un système de radio qui tout au long du jour et de la nuit, lui posait les mêmes questions afin de l'empêcher de dormir. C'était de l'acharnement psychologique et ils ne prenaient plus la peine de le sortir du cachot tant qu'il ne voudrait pas parler. Cette voix tonitruante venant de nulle part, l'affectait beaucoup. Au début, il décida de faire de l'exercice et de marcher dans son petit cachot afin de conserver un peu de lucidité et de dignité. Il priait beaucoup. La police lui avait laissé son chapelet. Il comptait les jours inconsciemment, mais dans le noir, il perdit très vite la notion du jour et de la nuit. A force d'égrener son chapelet, ce dernier se cassait et les grains tombaient. Il déchira sa soutane ou du moins ce qu'il en restait, pour tirer un fil et renfiler les grains de son chapelet. Dans le noir, cela prenait des proportions inimaginables et un jour de colère, il jeta tout contre le mur. Il ne put jamais refaire son chapelet, mais les prières, il les avait dans sa tête.
Puis est venu le temps ou plus personne ne s'est occupé de lui, si ce n'est pour lui porter son bol de riz et un peu d'eau chaque jour, et la police a décidé de le laisser croupir dans son cachot.
Père Jean est resté des années dans son cachot, sans jamais parler à quelqu'un, ni voir le jour ou la moindre lumière. Son psychisme mental commençait à défaillir, parfois il avait des trous de mémoire en récitant ses prières ou en murmurant des chants de messe. En dernier, lorsque l'on lui posait son bol de riz et un peu d'eau, il se réfugiait au coin du cachot, tapi comme un petit animal ? Faut pas oublier que la radio fonctionnait toujours, mais par intermittence, afin de continuer à lui rappeler le pourquoi il était là....
Le jour de la délivrance, un militaire vint le chercher, il n'osait pas avancer et ne savait plus trop comment marcher. De plus, la lumière l'aveuglait. Il n'était que l'ombre de lui-même, toujours grand, bien que voûté et décharné. Père Jean était incapable de tenir une conversation, et avait un regard apeuré. Tout l'effrayait, du fait de le sortir subitement de son cachot « dans son trou ». Personne ne l'avait préparé à ce choc.
C'est le Consulat Français qui a réussi à le sortir de son enfer. Il avait un ami qui était à l'Ambassade de Birmanie. Cela a mis des années avant d'arriver à sa libération. Faut dire qu'à l'époque de Père Jean, la Birmanie était fermée au monde. Même son Évêque n'a rien pu faire. Pour lui, tout était bloqué.
Père Jean était considéré comme un terroriste, à la solde de l'ennemi ; (il l'apprit plus tard) donc inscrit en rouge et interdiction de remettre les pieds sur le sol birman.
Père Jean n'avait pas conscience de tout cela. La seule chose qu'il entendait, c'est qu'il allait rentrer en France. L'Ambassade s'occupa de le remettre dans un état humain. Je dirais (propre et des vêtements appropriés) une belle soutane blanche.
(A SUIVRE)