Roman : La rivière savait… (50)

Publié le par M.P.

(Suite)

En ce matin nouveau où l’aube se lève tôt, je regardais le ciel, assise sur le banc.

Il y avait un petit nuage filandreux qui s’étirait jusqu’à ne plus laisser qu’un simple filet blanc, léger comme une plume, voleter dans l’immensité de l’azur. L’âme de Béni flottait-elle en ce lieu ? Veillait-il sur nous depuis ce petit nuage ? J’en avais presque la sensation. J’y pensais souvent, espérant un signe de sa part. Je savais qu’il serait bon qu’il me guide dans mes choix. J’avais tellement besoin de son approbation quant à certaines décisions à prendre.

J’étais en train de penser à cela, lorsqu’un papillon noir et bleu me surprit, tournant devant moi comme pour m’inviter à jouer. Je me dis alors que s’il s’agissait bien d’un signe, il viendrait peut-être se poser sur moi. J’attendais patiemment, le scrutant sans bouger, retenant presque mon souffle, les mains posées sur mes jambes. Quelques temps après, il s’est posé sur ma main, tout près de ma bague. Je n’en croyais pas mes yeux ! Le bleu de ses ailes était absolument identique à mon saphir. Cela ne dura que quelques secondes, juste le temps pour moi de faire cette découverte, me laissant subjuguée face à l’émerveillement du phénomène.  Cela voulait-il dire qu’il me donnait son accord ?

Pierre venait de me rejoindre, je ne l’avais pas entendu. Il occupait alors la chambre de Faustino. Salma avait pris l’habitude de dormir à mes côtés. Laquelle de nous deux en avait réellement le plus besoin ? Les enfants s’imbibent des émotions de leurs parents comme de véritables éponges. Elle aimait la compagnie de Pierre et le sollicitait afin qu’il raconte sa vie en France. Il lui parlait beaucoup de Maël, d’Elise et de Laurent, de la rivière, de la pêche, de son métier... Il  l’avait complètement séduite, quant à moi, il me réapprivoisait. Il me fut d’un grand soutien dans tous les domaines. J’avais mis la maison et le commerce en vente. Dès que mes affaires seraient en ordre, que Salma aurait fini son année scolaire, nous partirions pour la France. Nous quitterions ce merveilleux pays, non sans éprouver une pointe de nostalgie, si la vie le décidait ainsi. Pierre profitait de ces journées de villégiature pour prendre un peu de bon temps. Il avait ce même besoin viscéral que moi d’entrer en contact avec la nature. Il s’en allait souvent sur les hauteurs d’Estepona, marchant des heures, respirant les doux parfums de l’aube éclaboussée de rosée. Ce matin-là, il vint s’asseoir près de moi sur le banc.

Le papillon aux ailes de saphir venait de s’envoler. Pierre me fit part de ses émois, me déclarant soudain son fol amour pour moi comme il ne l’avait jamais fait auparavant. Ses yeux et sa voix étaient emplis de larmes, témoignant l’intensité de la douleur éprouvée il y avait bien longtemps, lorsque je l’avais quitté. Pas un jour depuis n’avait passé sans qu’il ne pense à moi. Mon amour pour lui que je croyais éteint, s’était soudain réveillé, rallumant sa flamme, ravivant ma mémoire sensorielle jusqu’à se fondre dans le souvenir ; les châtaigniers crépitaient évaporant leur odeur ancestrale, je goûtais l’eau fraîche du puits, à mes yeux fiévreux la lumière jaillissait dans la résurgence d’un lieu qui m’habitait. C’était terriblement merveilleux ! Une douceur intense qui vous chauffe le cœur. J’entendais battre celui de la rivière. Elle suivait son cours. Tout comme moi, elle n’avait jamais cessé sa course, glissant vers l’horizon qui descendait peu à peu son rideau de scène sur nos vies. Cette vie chaotique, comme toutes vies, l’avais-je réellement choisie ? Le destin vous arme et vous désarme sans cesse. Et vous avancez sur le chemin, celui que le ciel a tracé pour vous.

J’étais heureuse de ne pas avoir perdu la foi.

J’avais tellement prié pour que la providence m’aide à trouver la force d’anéantir cette peur qui m’envahissait et qui détruisait ma vie.

Cette vie, qui méritait que le soleil m’inonde, bercée par les mains douces d’un vent parfumé de jasmin.

Notre jardin en était fleuri à foison, rivalisant avec les lauriers rouges, laissant paraître les murs chaulés encore plus blancs.

Allions-nous oser de nouveau s’aventurer l’un vers l’autre, se réapprivoiser en touchant du doigt les ailes fragiles du bonheur ?

Avec pour seul motif, le désir de vivre.

Vivre, tout simplement !

Me nourrir de mon vécu et de ma force pour avancer encore et toujours vers le chemin de la félicité.

 

(A suivre)

Publié dans culturels

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