Roman : La rivière savait… (56)

Publié le par M. P.

(Suite)

Quand l’hiver balaya l’automne, tous les feuillus avaient brûlés, leur ramure versant des larmes sanguinolentes ravivant ma mélancolie touchée par le manque des êtres chers. Lorsque l’aulne avait frémi, il se trouva paralysé, laissant geler sur lui son cristal transparent sous un ciel couleur de neige. Le gel avait absorbé les couleurs alentours. La nature en haillons m’avait laissée croire en une fin du monde. Dans un calme cosmique, immarcescible, j’avais arboré l’hiver, indolente, en quête d’un printemps qui tardait à venir. Dans les froideurs ancrées au plus profond de mon être tourmenté, j’arpentais Brumaire poudré de givre. Même le cèdre bleu aux ramures d’argent me donnait la vision erratique de la mort. Cette ambiance léthargique n’était en fait qu’un long sommeil réparateur où l’aube tardive vient d’ouvrir sa fenêtre, me laissant croire encore aux contes de fées. J’avais envie de caresser le printemps et  d’en ouvrir les portes de mon destin itinérant. Dans le tréfonds de tout mon être, inconscient et aveugle, je ne sais pas encore qu’une lumière printanière va poindre à l’endroit de mon coeur où se trouve l’amour. Une pluie de myrrhes va soudain transformer mon âme, exhibant le pouvoir médicinal de ce parfum sirupeux dans une tendresse salvatrice. Ma peine édulcorée ressent tout à coup la candeur de l’enfance. Un artefact me sort d’un cauchemar dans une alacrité exempte de tout jugement. Une gamme chromatique, digne d’un festival de couleurs éblouissant, réveille tous mes sens, bousculant la routine dans une mise en scène acidulée, propice à la légèreté et à la bonne humeur. Je venais juste de rentrer, le temps de prendre une douche, j’avais laissé glisser mes boucles brunes et humides sur ma robe en moire bleue. Elles tombaient sur mes épaules que le soleil avait dorées, laissant ma peau couleur de miel. Mon regard semblait plus profond. Pierre avait perçu ce changement. Il ne me quittait pas des yeux.

Il s’étonnait de cette métamorphose, essayant d’en connaître la cause. « Tu es belle ! » me chuchota t-il à l’oreille. « J’avais envie de partir quelques jours en vacances, viendrais-tu avec moi ? » osa t-il rajouter. La vie est ainsi faite, de grands moments, de souvenirs intenses, tristes ou merveilleux ; naissances, décès, rencontres, séparations, mariages... La vie nous prête ces petits instants qui ne durent parfois que quelques secondes, mais qui ont, paradoxalement, le pouvoir de changer le cours de votre existence. A ce moment précis, mon destin prenait une tournure particulière. Je me trouvais dans un virage, me dirigeant vers un nouveau décor émergeant sur une voie plus lumineuse, où l’air est plus doux, où les parfums voluptueux vous transpercent les sens, où la nature joue avec la lumière à la rencontre du vent, laissant vibrer sur la nature des diamants étoilés qui focalisent le regard. Nous sommes tous des pèlerins en quête de bonheur, marchant vers le chemin de la félicité. Je me suis sentie alors légère et libre comme une plume que la brise balance, prête à m’envoler vers ce ciel clément qui s’ouvrait à moi. J’ai ouvert mes ailes et j’ai dit « Oui ! », doucement, tendrement. J’ai repensé alors à cette citation, petit proverbe chinois que j’avais lu dans un livre, qui dit :

«  On ne peut que donner deux choses à ses enfants : des racines et des ailes ».

Mes racines avaient été arrachées mais on m’avait donné des ailes.

«  Nous avons pris quelques jours de vacances. Nous sommes allés dans ce petit village qui se nomme Isaba. Vautré dans un nid de verdure, sur le versant espagnol de la Pierre Saint Martin, ce petit bourg aux ruelles empierrées a su conserver son charme d’autrefois. Par son authenticité, ce lieu raconte son histoire. J’ai caressé la pierre blanche de cet endroit lunaire. Au creux de son silence, je me suis enivrée d’air pur et de fraîcheur.

Un petit matin frêle

Un petit matin frêle au feuillage froissé

Frissonne et se réveille encore ébouriffé

Le soleil de l’automne miroite sur la plaine

Luisante de rosée rallumant l’or des chênes.

 

Dans la forêt obscure où les fougères rousses

Essaiment des odeurs de cèpes et de mousse

Le vent vient réveiller les parfums de Brumaire

Sous les feuillus fragiles aux éclats de lumière.

 

Les soupirs languissants aux diamants étoilés

Des ramures exposant leur feuillage brûlé

Réveillent en moi la peine et la mélancolie

De printemps disparus, bien vite évanouis.

 

Quand l’hiver balaiera l’automne de sa bise

La nature en haillons dormira sous les prises

D’un givre cristallisant de sa poudre magique

Ce décor transparent dans un calme cosmique.

 

Ce gel paralysant absorbant les couleurs

Sous un ciel blanc de neige ne glace pas mon cœur

Si la nature dort, elle ne s’éteint pas

Dans ses larmes givrées, la vie est toujours là !

 

Le cèdre bleu scintille de filaments perlés

Un artefact explose, festival éclaté

De la vie prise au piège, éblouissante et belle

Baignant de sa lumière ce petit matin frêle.

 

Par cette léthargie, sommeil réparateur

Mon esprit inconscient, aveugle et trompeur

Ne voit pas poindre, au loin, sous une pluie de myrrhes

Cette lumière vive que le printemps attire.

(A suivre)

 

Publié dans culturels

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