Regards philosophiques (170)
Thème :
« Que mettons-nous dans le mot « valeur » ? »
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Débat :
► Le poème de Florence :
Que mettons-nous dans le mot « valeur » ?
Les valeurs sont des mots qui résonnent dans mon cœur
Les mots du philosophe ou les mots du grand-père
Elles sont le rossignol qui fait pleurer l’empereur
La rosée qui abreuve les fleurs de mon calvaire
Bâton du pèlerin, marchant sur le chemin
Boussole du marin, étoile du matin
Les valeurs sont des pots où j’ai planté mes peurs
J’y cultive le doute et des plants de chimère
Une fleur délicate au parfum de bonheur
C’est un jardin secret un gentil pied à terre
C’est un pain au levain, le pain du crève-la-faim
C’est un vin si divin, c’est le lait de ton sein
Les valeurs sont les sceaux de quelque grand seigneur
C’est le chant du héros qui s’en revient de guerre
Les valeurs ont bon dos, alibi du vainqueur
La fin justifie tout, le sang et la misère
Le serin du gredin, les mots vains du pantin
Le refrain du clampin, le festin du rupin
Les valeurs sont les peaux pour masquer la laideur
Les valeurs sont des faux pour le fait libertaire
Les valeurs sont des os, un schéma directeur
Les valeurs sont des veaux qui tètent encore leur mère
Ce coquin d’arlequin et tout le Saint-Frusquin
Et le réveille-matin qui bat le traversin
Les valeurs sont un lot dont on n’est pas l’auteur
Elles arrivent de nulle part, par le plus grand mystère
Sur le vent des bon mots, des proverbes aviateurs
Le fait majoritaire et le point de repère
Le potin du pékin, le chant du baladin
Elles n’ont rien d’anodin, c’est le lien de l’humain
► Malgré le désir de ne voir que le côté philosophique, naturellement, la discussion nous amène obligatoirement à évoquer la valeur économique. Celle-ci est de deux types : les valeurs utiles : « à quoi ça sert ? », et les valeurs commerciales, valeurs d’échange ; les deux ne vont pas toujours ensemble. Exemple : de l’utilité d’un verre d’eau pour se désaltérer, mais le contenant peut avoir une valeur commerciale, et donc valeur d’utilité et valeur commerciale ne correspondent pas. On pouvait le voir également avec « le collier de la reine », une énorme valeur commerciale, mais pour le peuple, cela ne sert à rien. Alors, qu’est-ce qui donne la valeur commerciale ? C’est là un point essentiel dans notre société.
La valeur peut dépendre de la rareté des produits, mais ce n’est pas une réponse suffisante, parce que rareté ici ne l’est pas dans un autre pays. Adam Smith, l’économiste anglais dit que la valeur dépend du travail qu’il y a dans une chose. Cette considération de valeur a beaucoup été développée par Marx. Par exemple, un vase de cristal demande plus de travail qu’un verre à eau et a donc une valeur supérieure, ceci par le temps consacré par l’artisan. Ces valeurs économiques dans les sociétés capitalistes produites par ceux qui travaillent, avec les mains, avec leur tête, ne reviennent pas à eux-mêmes, mais à celui qui est propriétaire des machines, de l’usine. On peut trouver que cela est injuste.
Revenant au cas Eichmann et à l’obéissance aveugle, cela me rappelle que dans mon pays, le Chili, la première chose qu’a fait Pinochet après avoir fait tuer le Président Allende, c’est de changer la Constitution de la nation et d’y inscrire comme première valeur « l’obéissance ». Cela a donné des horreurs proches de celles des nazis.
► Revenant sur les valeurs économiques, leurs modifications peuvent avoir une forte influence sur les valeurs sociales. Rappelez-vous qu’il n’y a pas si longtemps un billet de banque, toute monnaie, était émis avec son « équivalence or ». Une entreprise avait une valeur en regard d’actifs réels : une usine, du terrain, des machines, un savoir faire, des brevets éventuellement... Aujourd’hui des entreprises cotées sur des marchés ne sont que des baudruches. Cette volatilité des valeurs économiques nous l’avons vue et subie avec les subprimes, où valeurs morales et financières furent dévoyées ; ce fut un renversement total des valeurs dans leurs différents sens, ce qui nous a amené la crise qui sape les valeurs des peuples.
Par ailleurs, dans la deuxième moitié du siècle dernier a émergé une valeur nouvelle, l’écosystème, la biosphère; à ne pas la respecter, nous sommes entrés dans la crise environnementale que nous connaissons ; nous avons pris connaissance que nous étions dans un monde fini. Ce qui me semble urgent à ériger en valeur première, en valeur universelle, c’est la protection de notre Terre-mère, un engagement qui devrait figurer en préambule de toute Constitution des peuples, comme l’ont fait des pays d’Amérique du Sud, l’Equateur et le Chili, en créant la notion du « buen vivir » et en ayant créé une valeur symbole de la nature, la Terre-mère, ou, en indien quechua, la « pachamama ».
► On voit dans certaines entreprises qu’il y a une volonté de déstructurer les personnes pour mieux les « diriger ». Cela peut passer par le fichage, par des contrôles, par l’établissement de profils. On veut d’un côté établir une valeur d’entreprise, valeur maison, et de l’autre côté on nie les valeurs individuelles.
Revenant sur l’argent comme valeur monétaire, des économistes nous disent qu’il y a dix fois plus de circulation de valeurs économiques, boursières, spéculatives..., que le PIB total de tous les pays du monde ; il n’y a plus du tout de repère des valeurs.
Quand il ya des licenciements économiques, il y a des fiches de notation et on se base sur ces « valeurs » pour choisir entre deux personnes sur un même poste. Quant aux valeurs des dirigeants, entre leurs valeurs et les obligations de résultat, la pression économique, cela est une des raisons de leurs changements réguliers dans les groupes.
►Lors du dernier tournoi de tennis à Paris (Roland Garros en 2013), un Français (Tsonga) est arrivé en demi-finale ; un speaker a dit : « Désormais, ce joueur est une valeur sûre pour les sponsors. » C’est là transformer un homme en valeur marchande, faire passer le prix avant la dignité.
► Toute valeur philosophique implique un jugement. Ou c’est une valeur ou c’est sans importance ; il y a toujours l’idée de trancher entre le bon et le mauvais. Il restera toujours cette question : est-ce la valeur qui est mère du jugement ou est-ce le jugement qui est à l’origine de la valeur ? On peut définir ce qui est important pour l’homme, pour la femme : c’est la conscience individuelle, c’est la conscience sociale, c’est dépasser l’égoïsme : « Je détermine l’authentique valeur d’un homme d’après une seule règle : à quel degré et dans quel but l’homme s’est libéré de son Moi ? », a écrit Albert Einstein dans son livre Comment je vois le monde publié en 1979.
►Le philosophe anglais David Hume a légué à la tradition philosophique une question difficile : Comment se fondent les valeurs auxquelles adhèrent les individus, à partir du moment où celles-ci ne relèvent pas d’une découverte empirique assimilable à un jugement de fait ? Il a également fait une analyse sur une hiérarchie des valeurs. Il en déduit que le respect est devenu une valeur populaire quasiment officielle.
Deux citations entendues au cours du débat :
►« Qu’est-ce qu’un cynique ? C’est un homme qui connaît le prix de tout et la valeur de rien. » (Oscar Wilde)
► « Je suis jeune il est vrai, mais aux âmes bien nées / La valeur n’attend pas le nombre des années. » (Corneille. Le Cid)
(A SUIVRE)
Extraits de restitution d'un débat du café-philo
avec lequel je garde un lien privilégié
en tant qu'un des artisans de sa création.