Regards philosophiques (211)
Thème :
« Quel est le rôle de la fête ? »
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► Dans une société où c’est parfois difficile de maintenir des réunions, des fêtes, avec les changements dans la société, il peut y avoir du désir malgré tout de créer du lien. Par exemple, depuis quelques années, il y a la Fête des voisins pour rompre l’anonymat. Par ailleurs, la fête, c’est participer, comme pour le 14 juillet où l’on incite les gens à pavoiser, à défiler, à aller au bal.
Revenant sur le rôle réconciliateur des fêtes, elles ne mènent pas toutes à la réconciliation. Des livres, des films, comme par exemple Festen, nous parlent de fêtes qui tournent mal, voire même, qui finissent en règlements de compte.
► Il y a encore fort heureusement des fêtes avec de grands repas de famille ; on arrive à réunir autour d’une même table tous les membres d’une même famille et toutes les générations. Là aussi, c’est des marqueurs, des souvenirs et de la convivialité.
► « Pour moi, la fête est avant tout une ardente apothéose du présent, en face de l’inquiétude de l’avenir », a écrit Simone de Beauvoir dans La force de l’âge.
On se rappelle qu’à l’approche de l’an 1000, les hommes pensaient que ce serait la fin du monde. Des gens se sont alors pour beaucoup adonnés à la fête. Des fêtes allant parfois jusqu’à l’orgie.
Et la phrase de Simone de Beauvoir nous rappelle que face à un avenir dont on n’est pas sûr qu’il soit porteur de jours heureux, on peut évacuer un temps son inquiétude, ne vivant, comme le dit Simone de Beauvoir, que l’instant présent. La fête est alors le véritable vivre pour vivre, le « carpe diem », l’instant qu’on cueille.
C’est peut-être aussi, une fonction de la « rave party », face au « no future » : se déchirer, oublier. On retrouve ça, sous une forme un peu différente, dans les grandes villes d’Espagne, avec les « botellon », soirées hebdomadaires où une jeunesse (à 25%) au chômage) se réunit pour boire, faire la fête. Ils apportent leur musique, leurs boissons, boycottant le système commercial. Au petit matin, le sol est jonché des bouteilles vides. Comment interpréter ?
La fête peut aussi avoir des aspects économiques. Ainsi, toujours en Espagne, la tradition et l’économie œuvrent à la sauvegarde des fêtes religieuses, lesquelles sont l’occasion d’attirer des touristes de toute l’Europe. Ce sera, par exemple, la « Semana Santa » à Séville ou d’autres célébrations à l’origine essentiellement religieuses. L’économie y trouve son compte, l’Eglise y trouve son compte, mais la participation spontanée des autochtones a bien diminué. Nous avons pu le constater sur ces trente dernières années : les appareils photos ont remplacé les chapelets. Peu de spiritualité, beaucoup de pixels ! Avant, c’était comme dans toute fête populaire : un moment où chacun se sentait vraiment acteur.
► Est-ce que les fêtes comme la Féria de Nîmes ou celle de Pampelune, où les gens risquent d’être blessés, sont encore des fêtes ?
► Je ne confonds pas fête et rituel. Ceux qui fêtent Noël, ne fêtent pas tous la Nativité.
Quant aux férias qu’on a évoquées, c’est devenu un truc commercial ; cela n’a plus rien à voir avec la fête. Par contre, ces mêmes jours, il y a des gens qui organisent des fêtes entre eux, en dehors du circuit commercial.
► Une note un peu moins optimiste : il arrive que, lorsque viennent les fêtes, on ait un petit coup de blues, parce qu’on pense encore plus à tous ceux qui ne sont plus là, ceux qu’on a perdus, et, là, on a hâte que les fêtes soient passées. Heureusement, il y a les enfants, ils nous font oublier et reprendre courage…
► Dans les grandes fêtes qui deviennent orgiaques, il y a le Carnaval de Rio, où il y a des morts, des assassinats chaque nuit…
Œuvres citées :
Livres
Le gai savoir. Friedrich Nietzsche.
Les formes élémentaires de la vie religieuse. Emile Durkheim.
Totem et tabou. Sigmund Freud.
Essai sur le don. Marcel Mauss.
La force de l’âge. Simone de Beauvoir.
Théâtre :
L’inscription. Pièce de Gérald Sibleyras créée le 11 janvier 2004 au Théâtre du Petit Montparnasse dans une mise en scène de Jacques Echantillon.
Film :
Festen. Film danois sorti en 1998 réalisé par Thomas Vinterberg.
(FIN DU THEME)
Extraits de restitution d'un débat du café-philo
Avec nos remerciements