Regards philosophiques (213)
Thème :
« Le rêve est-il plus important que sa réalisation ? »
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► Si, en face du mot « rêve », nous mettons le mot « réalisation », alors nous changeons quelque peu le sens du mot « rêve » ; celui-ci devient alors synonyme d’espoir, de souhait, en fait, de désir, d’un désir très fort pour quelque chose de beau, de grand, mais de si formidable, que cela nous semble presque inatteignable ; c’est pourquoi, nous utilisons alors le mot « rêve », car si nous pouvions accéder vraiment à ce souhait, réaliser ce désir, ce serait alors une situation de rêve. Si le rêve est accompli, il n’y a plus le désir qui est le moteur de l’action, nous dit le philosophe Schopenhauer.
Par ailleurs, ceux qui vivent le plus dans les rêves sont les enfants, dans ce monde merveilleux des contes et des fables pour les enfants. Mais, en temps utile, ils doivent faire face à la découverte de ce monde tel qu’il est : « Comment pardonner à ce monde de n’être que ce qu’il est et point le miracle qu’on avait imaginé. », a dit Serge Gainsbourg [sous réserve]. C’est parfois parce qu’ils découvrent soudain le monde tel qu’il est, sa réalité, que des adolescents peuvent envisager le suicide, voire passer à l’acte.
Vivre une vie, c’est la valorisation d’un projet, un projet parfois ambitieux, un projet parfois difficile, mais rêver sa vie, au lieu de la vivre, peut vous amener à chuter dans le premier précipice venu. « Oui, ces esprits chimériques [… .] Ce sont bien, eux aussi, des coureurs qui tombent et des naïfs qu’on mystifie, coureurs d’idéal qui trébuchent sur les réalités, rêveurs candides que guette malicieusement la vie. », a écrit Bergson dans Le rire.
Alors, faut-il réaliser ses rêves pour vivre ?
Dans le film d’Eric Rohmer Conte d’hiver, le personnage de Félicie poursuit le rêve de revoir un amour de vacances ; elle ne connaît ni le nom ni l’adresse de ce garçon dont elle va avoir un enfant. Les années passent et elle reste persuadée que ce garçon reviendra. Tout le monde lui dit qu’elle poursuit une chimère, qu’elle se raconte des histoires. Elle en est consciente, mais, ne reviendrait-il jamais, c’est cet espoir qui la tient debout, qui l’aide à vivre. « Vivre avec l’espoir, », dit-elle, « c’est une vie qui en vaut bien d’autres. »
Cette situation illustre également le « pari de Pascal ». C’est ce que je crois qui m’aide à vivre et je ne veux pas me poser la question d’une réalité ou non : « […] il faut renoncer à la raison pour garder la vie […] » (Pascal. Pensées. 233/418).
Ainsi sont certains individus ; si vous enlevez le rêve, tout s’arrête pour eux ; même si tout est faux, ils préfèrent vivre dans le mensonge, parce qu’il est dix-mille fois plus beau que la vérité, que la réalité.
►Texte d’Hervé : En dormant, un rêve est une représentation programmée par notre inconscient. Le rêve est un langage imagé. Il communique un message strictement personnel. Il crée une communication entre l’âme et l’esprit, entre son inconscient et son conscient. Il ne peut laisser le rêveur indifférent. Dans ce message, se trouvent un avertissement, un conseil, une consolation, des rêves de situation, de vérité. Le rêve peut être prophétique ; il avertit et l’on ne peut que prendre en considération tous les messages, tous les avertissements qu’il donne. Certains rêves sont vécus comme des cauchemars. Dans ce mot entre l’ancien mot néerlandais « mare » signifiant « fantôme nocturne », selon le Dictionnaire des rêves de Luc Uyttenhove. Ils représentent des scènes effrayantes, pénibles, angoissantes. Le rêve qui met en évidence un sentiment, un désir, peut apporter de la joie, un espoir. Cela devient une représentation plus ou moins idéale ou chimérique (construction de l’imagination, projet irréalisable) de ce que l’on veut réaliser, de ce que l’on désire.
Le rêve est une production psychique, c’est-à-dire qui concerne la vie de l’esprit dans ses aspects conscients et inconscients, et il peut être mémorisé.
Si le rêve ne se réalise pas, dans ce cas son importance n’a d’égale que la pensée intérieure.
Ne dit-on pas que le rêve s’efface lorsqu’il se réalise. Dans ce cas, son importance est égale à la réalisation.
►On a évoqué le rêve en tant qu’exutoire, le rêve pour se libérer de quelque chose, d’une angoisse. Là, c’est l’inconscient qui se met en action.
► Je pense que le rêve, cette activité de l’esprit, cette évasion, est ce nécessaire vagabondage de la pensée qui apporte toujours du réconfort (contrairement au cauchemar).
Maintenant, rêver éveillé, c’est nécessaire, mais en gardant à l’esprit que tous les rêves ne sont pas accessibles. On ne peut pas se laisser piéger par le rêve, même s’il est consolation, même s’il nous apaise en nous faisant voir les choses autrement et en nous éloignant de nos ennuis pendant ce temps du rêve. Dans ce cas, il nous aide à supporter l’insupportable.
► Un prisonnier, dans les camps, « s’évadait » par le rêve. Il avait construit, imaginé, un château ; il l’avait meublé, décoré ; puis, il se promenait dans son château. Cela lui a permis de supporter l’enfermement.
► J’ai retenu dans le thème de ce café-philo le mot « rêve », en tant que souhait, désir, inspiration, attente, espoir, voire utopie. Ensuite, le rêve est-il plus important que sa réalisation ? Ou le contraire ? Et quel rapport entretiennent le rêve et la réalité ?
On pourrait se dire, à première vue, que rêve et réalité sont deux registres différents, dans lesquels on passe de l’un à l’autre, et qu’on essaie de faire avec ces deux niveaux. Mais, en même temps, peut-être peut-on se dire : Est-ce la réalité comme telle ? Ou, est-ce que la réalité objective, existe ? Je n’en suis pas si sûr ! Peut-être que la réalité passe aussi par le filtre de nos rêves et c’est peut-être nos rêves qui nous révèlent quelque part une partie de notre réalité.
En retraite depuis peu, je m’étais promis, comme tout bon retraité, de faire un tas de choses et, bien évidemment, je n’en ai pas fait le dixième. Du coup, j’ai fait une petite introspection, à travers les rêves que j’avais : Qu’ai-je réalisé ? Que n’ai-je pas réalisé ? Cela m’a dit quelque chose pour la réalité que je vis ou les relations que j’entretiens, à travers ce que j’ai réalisé de mes rêves et surtout ce que je n’ai pas réalisé.
Alors, quelque part, le rêve-désir, ce n’est pas seulement un aller-retour entre imagination et faits, c’est peut-être ce qui nous permet d’accéder à une réalité que l’on a du mal à voir de l’extérieur.
► On a dit que le rêve pouvait être indépendant de notre volonté, alors ! Comment peut-on appeler les images qui nous aident à avancer dans la vie ? Ne serait-ce pas du rêve ?
►Ces images qui nous mettent en action, c’est le subconscient qui nous montre nos désirs, nos rêves, nos voies. Dans un rêve, je me voyais en militaire et j’ai été militaire. Le rêve avait créé un souhait, un désir.
(A SUIVRE)
Extraits de restitution d'un débat du café-philo
Avec nos remerciements