"Ton mari est formidable !" : Acte 1 - Scène 1

Publié le par J. C.

Dans la grande cuisine de la maison qu'ils habitent dans ce petit village au pied de montagnes, Igor, le mari, retrouve sa femme, Florine.

 
Florine :
Tiens, te voilà Igor...

Igor : Et oui, je suis là... toujours là. Tu le sais, je suis à toi comme tout mari qui se respecte est à sa petite femme adorée.

Florine : Encore et toujours des fariboles ! Des fanfaronnades ! Des fadaises et billevesées !

Igor : C'est tout ?

Florine : Tu ne me réponds que des sornettes, tu ne me racontes que des balivernes...

Igor : Que veux-tu, je m'adapte.

Florine : D'ailleurs t'arrive-t-il de penser sérieusement quelquefois à moi ?

Igor : Oh ! Ma Florine, encore aujourd'hui, ne formons-nous pas tous les deux un joli couple ?

Florine : S'il te plaît ! Pas de formules toutes faites ! Pas de plaisanteries éculées ! Pas d'effusions verbales inutiles !

Igor : Oh ! Mais c'est que tu as renouvelé ta collection de printemps !                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                    

Florine : Oui, ridicules tes envolées lyriques ! Inutiles ces images défraîchies !

Igor : Ah ! D'une épouse en verve, qui n'en a rêvé ?

Florine : Faut-il que je te rappelle notre commune réalité nocturne ? Dis-moi plutôt d'où tu viens...

Igor : Comme si tu ne le savais pas. Au jardin ce matin, je suis allé, ma mignonne, voir si quelques boutons de roses n'avaient pas éclos... pour toi.

Florine : Et... tu es rentré bredouille ?

Igor : Cela n'arrive pas qu'aux pêcheurs ou aux chasseurs.

Florine : La preuve. Si tu semais avec un peu plus d'amour et cultivais avec un peu plus de courage ton jardin, les récoltes y seraient plus abondantes et les fleurs plus épanouies !

Igor : Oh,  comme les femmes, la nature a ses caprices et la beauté, comme les miss de Geneviève, a son zénith.

Florine : Habile diversion ! Moi, c'est de ton jardin dont je te parle.

Igor : Et de quel jardin veux-tu parler ?

Florine : De quel jardin ! En voilà une drôle de question ! Comme si tu avais, toi, déjà envisagé de cultiver plusieurs potagers.

Igor : Sait-on jamais ?

Florine : Pour qui me prends-tu ? Je te connais suffisamment et je sais à quoi m'en tenir quant à tes ambitions maraîchères.

Igor : Ecoute, puisque tu tiens à le savoir, je te révèle que j'en travaille un autre jardin...  et extraordinaire celui-là !

Florine : Comment ? Qu'entends-je ? Qu'ouïs-je ? Enfin, cela serait de notoriété publique.

Igor : Que tu crois !

Florine : Pour une surprise, ça en serait effectivement une...  

Igor : Et comme de bien entendu, tu n'y crois pas. Plus exactement tu ne me crois pas. Comme à l'accoutumée, tu commences par mettre mes propos en doute. Ton négativisme permanent l'emporte encore une fois.

Florine : C'est ta propre vision des choses !

Igor : Sans doute mais à ton âge tu devrais savoir qu'il faut également faire confiance à autrui.

Florine : Ce qu'il ne faut pas entendre !

Igor : Toute personne avec ses qualités, ses défauts, ses excès, sa couleur de peau, son origine, son vécu est respectable... et peut, assurément, être crédible à son tour.

Florine : Comme si j'ignorais que tous les hommes naissent libres et égaux en droits !

Igor : C'est justement pour cette raison que suivre son fil, même rouge, ses idées, même bonnes,  c'est bien mais savoir entendre, écouter l'autre ne nuit jamais. Au contraire !

Florine : Mais... Igor... que t'arrive-t-il ce matin ? Me réciterais-tu quelques paroles d'évangile ou  comme Monsieur Jourdain faisait de la prose, philosopherais-tu maintenant ?

 Igor : Ironise ! C'est facile de ridiculiser autrui...

Florine : Comme est aisée toute critique ! 

Igor : Certes... mais tu le sais tout comme moi... entre nous, du temps, du bon et fatalement du moins bon, est passé... des habitudes ont été prises... une certaine routine s'est instaurée... les corps se sont fatigués... les désirs se sont assouvis... les sentiments se sont estompés...

Florine : Rien de surprenant... et je partage ce constat.

Igor : Par chance ma curiosité restant forte, aiguisée, mes neurones fonctionnant à ce jour encore un peu...

Florine : Heureusement pour toi !

Igor : La passion pour mon jardin secret est là, plus que jamais là, inextinguible.

Florine : Chacun a le sien...

Igor : Sans doute et tant mieux ! Dans le mien, je m'y réfugie très souvent, j'y vagabonde avec beaucoup d'émois et je m'y évade longuement comme sur une île enchantée...

Florine : Mais... mais... j'étais persuadée de te connaître... après tant d'années vécues ensemble.

Igor : Non ! Non Florine !

Florine : Qu'as-tu ? Qu'y a-t-il ?

Igor : Même brouillée par quelques bribes de bons sentiments, ta rigueur intellectuelle devrait t'inciter à dire après tant d'années passées... l'un à côté de l'autre.

Florine : Comment ?

Igor : N'est-ce pas simplement la stricte réalité ?

Florine : Tu crois ?

Igor : La vie, la vie à deux surtout, est un art. Hélas, se laissant griser par l'éphémère, le superficiel, la gloire, les futilités, le paraître, l'avoir... nombreux sont ceux qui, sans même le savoir, n'y accèdent pas. C'est ainsi, on croit vivre, bien vivre alors que tout simplement on passe le temps, on  survit.

Florine : Parfois bien agréablement, reconnais-le !

Igor : Peut-être... alors que d'autres, sous d'autres cieux, d'autres étoiles ou dans des palais goûtent, eux, à une vraie vie !

Florine :  Je t'en prie, pas de politique. Pas maintenant, s'il te plaît.

Igor : Je sais, je connais le refrain. Avec toi, ce n'est jamais le moment. Pour ceci et encore moins pour cela !

Florine : N'exagères-tu pas un peu ?

Igor : Si peu... et les maîtres du monde peuvent dormir tranquilles tant que nous, les petits, les ouvriers de la ruche planétaire, sommes si conditionnés, si respectueux d'un système économique qui favorise toujours les mêmes.

Florine : A vrai dire, rien de nouveau sous le soleil... il en a toujours été ainsi...

Igor : Et alors ? Est-ce une raison suffisante pour que nous refusions nous aussi d'ouvrir grands nos yeux ?

Florine : Igor, approche... Encore... Plus près... je veux essayer de lire un peu mieux dans tes yeux...  Un pas de plus que je puisse te serrer dans mes bras !

Igor : Florine ! Que me recommandais-tu précédemment ? T'en souviens-tu ? A ton tour, modère toi aussi tes élans. Pas de déclarations saugrenues ! Pas de paroles incongrues !

Florine : Paroles ! Paroles !

Igor : Plus de déclarations dithyrambiques entre nous ! Plus de gestes inconsidérés à cette heure-ci ! Gardons toute notre lucidité, toute notre sérénité. Soyons zen...

Florine : C'est cela et, à nouveau, à la première occasion venue, tu m'accuseras d'une totale indifférence à ton égard, tu m'accableras d'une passivité conjugale sans égale...

Igor : D'un constat, c'est tout !

Florine : Puis de même tu déploreras mon manque d'ardeur amoureuse, tu te lamenteras de ma soi-disant frustrante frigidité... et... que sais-je encore...

Igor : Plains toi, en effet ! Tu as tes raisons... Qui n'en a pas ? Qui ne s'en trouverait ? Cumuler des griefs à sens unique est facile ; s'interroger objectivement sur son propre comportement l'est beaucoup moins.

Florine : Tu me le répètes souvent.

Igor : Certes mais depuis longtemps tu devrais avoir remarqué que je sais me taire comme je suis aussi capable de détourner mon regard.

Florine : M'en suis-je plainte ? T'en ai-je déjà fait le reproche ?

Igor : Non, pas encore... Mais avec le temps, telle ou telle chose finit par s'expliquer, devient absolument compréhensible ou, pire, plus visible même pour un œil non averti.

Florine : Voir ou regarder avec ses yeux, c'est la moindre des choses.

Igor : Avec patience, il suffit de laisser du temps au temps... et tout s'éclaire même dans le noir.

Florine : Je t'écoute attentivement mais je t'avoue ne rien comprendre à tout ce discours. Où veux-tu en venir ?

Igor : Il y a, toujours,  l'écume et l'eau... la surface et le fond... car les apparences sont souvent trompeuses... comme tout ce qui brille n'est pas or.

Florine : Mes rares bijoux en attestent !

Igor : De même, le calme d'une situation peut aussi préluder à une tempête. N'est-ce pas un typhon qui ravage tout sur son passage sans prévenir ?

Florine : Tu parles presque comme un livre mais je t'assure que je ne te comprends plus du tout, mais alors vraiment pas du tout.

Igor : Quel dommage !

Florine : Que veux-tu me dire ? Utilise un langage moins abscons si vraiment tu souhaites que je te comprenne.

Igor : A sa source, l'eau est limpide... comme ce dialogue a le mérite de la franchise et, me semble-t-il, de la clarté. Il n'y a pire sourd que celui, celle qui ne veut entendre...

 Florine :  Pour moi, je t'assure il reste complètement obscur malgré toute ma meilleure volonté...

Igor : ... Tiens... des bruits de pas dans la cour... Assurément, malgré l'heure matinale, quelqu'un vient nous rendre visite...

Florine :       Désires-tu prendre un café avec moi ?

Igor : Oui, il me fera le plus grand bien.

Florine :   Je vais les préparer dans l'arrière-cuisine...

Publié dans théâtraux

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