Retour vers mon enfance (15)
L'orage.
Après le déjeuner, je remonte au grenier en compagnie de ma sœur. Lasses avant d'avoir commencé, nous nous asseyons sur une malle et nous regardons autour de nous. La lucarne poussiéreuse laisse à peine entrevoir les gouttes de pluie. La lueur fulgurante d'un éclair embrase subitement la pénombre. Un coup de tonnerre vient aussitôt éclater sur nos têtes et il se transforme en quelques instants en un gigantesque grondement. On entend tout à coup des grêlons claquer sur le toit comme un tambour. Depuis toujours, je redoute les déchaînements du ciel qui me mettent mal à l'aise. Petite, je me réfugiais sous les couvertures de mon lit lorsque le tintamarre commençait.
J'ai encore en mémoire le vieux châtaignier, en haut du village, qui avait poussé seul dans un champ, sans voisins, et dont le tronc noueux et épais était devenu si large avec les ans que plusieurs enfants, en étendant les bras, ne pouvaient en faire le tour. Un soir d'orage, un éclair est tombé sur ce géant au faîte de sa beauté et de sa force. L'arbre, qui nous dispensait une ombre généreuse pendant l'été, n'était désormais plus qu'un squelette au tronc noirci et aux branches dénudées. Plus tard, une tempête dévastatrice l'avait déraciné.
Je me rappelle aussi d'un soir de Noël où un violent orage nous avait privé d'électricité pour un long moment. Un claquement sec avait plongé plusieurs villages dans les ténèbres. Monsieur le curé qui préparait sa messe de minuit était sorti en trombe, la soutane relevée pour mieux courir alors que la foudre pulvérisait le clocher.
Je me souviens encore d'une journée d'été si étouffante que les éléments s'étaient déchaînés toute une soirée. Soudain, une déflagration m'avait fait me précipiter dans les bras de ma mère. La grange des voisins, pleine de foin frais, s'était embrasée comme un feu d'artifice. De longues flammes sortaient comme autant de bras furieux et mordaient sans relâche le corps de ferme. Les vaches prisonnières meuglaient, les chevaux hennissaient dans leur box. Vite, les adultes s'étaient précipités pour les libérer. D'autres essayaient d'éteindre ce brasier gigantesque avec de misérables seaux emplis à la hâte à la mare la plus proche. Le toit s'était écroulé en crépitant. Des flammèches volaient au loin. Le brasier envoyait vers le ciel sa fumée qui épaississait la nuit. Au petit matin, les poutres calcinées fumaient encore. Une odeur âcre avait persisté pendant plusieurs jours.
Heureusement, l'orage, qui nous a aujourd'hui surprises dans le grenier, s'est vite éloigné. Déjà, des rayons de soleil traversent la vitre et jouent avec une toile d'araignée. Nous allons pouvoir reprendre notre exploration.