Retour vers mon enfance (18)

Publié le par B. B.

Ouverture de la chasse.

Un magazine qui traîne sur la table accompagne ma solitude. Je me laisse aller dans la profondeur du vieux fauteuil et j'essaie de concentrer mon attention sur les pages de mon livre. Mais je n'arrive guère qu'à le feuilleter, m'arrêtant à peine aux gros titres. J'ai l'esprit ailleurs. Je laisse vite tomber ma lecture pendant que mon regard se promène dans la pièce. Au dessus de la porte de la chambre, le fusil de mon père sommeille dans le râtelier depuis quelques années déjà. La chasse a été une de ses grandes passions.

Quelques jours avant l'ouverture, il sortait la boite de dessus le buffet où elle était au sec. Il préparait lui-même ses cartouches : il versait la poudre qu'il dosait précautionneusement. Il y ajoutait des plombs de différents calibres et il sertissait le tout. Puis il sortait le fusil qu'il avait acheté par correspondance dans le catalogue Manufrance. Il nettoyait l'intérieur du canon avec des baguettes à houppe, astiquait la crosse, et vérifiait que tout fonctionnait bien : le cran d'arrêt, la gâchette, le percuteur.

Le jour J, il se levait très tôt. Il enfilait un treillis vert et de grosses chaussures de marche et il vissait sur sa tête une belle casquette. La cartouchière bien fixée à la taille, il partait, accompagné de mon grand frère qui le suivait à quelques mètres, le carnier en bandoulière et un bâton à la main. De temps en temps, il fouettait les feuillages et les fougères dans l'espoir de faire sortir un lièvre. C'était encore le temps où le gibier abondait : lapins, faisans, perdrix, bécasses, cailles, canards.....Le chien flairait une hypothétique présence. Il reniflait dans les buissons, dans un carré de trèfles, dans un champ de betteraves. Et tout à coup, un gros oreillard déboulait d'un carré de maïs, en bonds saccadés. Papa épaulait, visait et tirait. Le lièvre faisait la culbute et le chien se précipitait pour l'attraper et l'amener à son maître. Mon frère le plongeait par les oreilles au fond du carnier.

Les détonations claquaient sèches et courtes. La campagne résonnait de coups nourris. Les carniers garnis se faisaient lourds au fil des heures.

Après cette longue marche à travers les labours et les bois, ils rentraient heureux. Le fusil cassé sous le bras, mon père remettait les cartouches à la ceinture. Il sifflait son chien qui venait se coucher, le museau sur les pattes endolories et l'œil rivé sur son maître. J'avais toujours un pincement au cœur lorsque les chasseurs nous montraient fièrement leur butin. Le « deux coups » s'est tu à présent. Papa le descend de temps en temps avec dévotion de son râtelier pour le nettoyer. Il sera pour mon grand frère plus tard. Le chenil vide ne résonne plus des aboiements du chien qui n a pas été remplacé.

Publié dans témoignages

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