Retour vers mon enfance (19)
Neiges d’antan…
Les brumes matinales qui avaient déposé leurs gouttelettes se sont dissipées. L'air est plus vif ce matin. Dans le ciel passent des formations en accent circonflexe d'oies sauvages ou de grues qui partent vers le sud. Leurs cris annoncent l'approche du froid qui fait déjà ses premiers clins d'œil. Des étourneaux s'agitent au dessus des champs labourés. Mais les hivers sont beaucoup plus doux, plus ennuyeux et insipides comparés aux chutes de neige que j'ai connu dans mon enfance.
Les premiers flocons apparaissaient sans bruit et le tapis gonflait, moelleux, immaculé et lumineux. La pellicule blanche se déposait sur les arbres, alourdissant les branches qui s'inclinaient vers le sol. Les bruits devenaient plus sourds au milieu de ce gigantesque drap. Seuls quelques oiseaux affolés piaillaient faiblement. La neige tombait sans s'arrêter, fine et obstinée pendant plusieurs jours. Seuls les panaches de fumée montaient des cheminées sur les toits immaculés. Les adultes traçaient des chemins à la pelle pour aller au tas de bois ou à l'étable. Et c'était tout à recommencer dès le lendemain. Et il en retombait encore et encore. L'épaisse couche blanche nivelait les talus.
Les anoraks fermés jusqu'au cou, les pantalons fuseaux rentrés dans les bottes, les mains bien au chaud dans les moufles, et le bonnet enfoncé jusqu'aux oreilles, nous nous élancions dans la poudreuse. Un léger nuage blanc se formait au rythme de notre respiration. Une fine pellicule de givre recouvrait l'épais manteau qui craquait sous nos pas. Brasser la neige des arbres qui nous saupoudrait, faire d'interminables batailles de boules bien pétries, façonner le bonhomme de neige, lui trouver un chapeau, une pipe et un balai, nous extasier devant notre œuvre, patiner sur la mare gelée sans tomber afin de préserver les derrières devenus douloureux au fil des heures, puis dévaler les coteaux glacés, assis sur des sacs en plastique, remonter et recommencer : la journée était bien remplie.
Les habits mouillés, les joues rougies par le froid, la goutte au nez, nous rentrions nous chauffer à la vieille cuisinière qu'on entendait ronfler doucement pendant que chantonnait une bouilloire sur ses ronds de fonte noircie. .Et c'est autour d'un bon chocolat fumant, accompagné d'une épaisse tartine grillée au feu de bois, que nous clôturions ce superbe après-midi d'hiver.