La mort bleue (5)

Publié le par M. G.

Pendant ce temps, les aiguilles tournent, le vent apparaît. Au plus fort, sa vitesse est de 30 nœuds, les vagues s'affolent...Panne de moteur ! Le bateau se renverse, aidé par deux grosses déferlantes arrivées coup sur coup.

Il est tard dans la nuit.

Le pire est arrivé.

Nous sommes à environ 6 milles des côtes (10 kilomètres), l'eau est à 12°C. Je me trouve dans l'eau glacée. Les vagues me secouent et m'obligent à garder la tête très haut pour éviter de boire la tasse. J'ai froid. Je regarde autour de moi. Où est Benoît ? Où sont Chloé et Anthony ? Ce n'est pas possible ! J'ai beau ouvrir les yeux et scruter autour de moi, je ne vois rien, rien que des crêtes d'eau brune, la forme sombre du bateau retourné qui est entrain de couler.

Je me mets à nager sans perdre de temps. Je dois vaincre cette mer si puissante. Il le faut.

Mais qu'est-ce que je fous ici ? Bon sang !  Il ne faut pas que je pense à faiblir. J'y arriverai. Je nage, j'avance, j'ai froid et...je nage. Dans ma tête, des pensées vont et viennent, mais toujours demeure en moi l'idée obsédante de nager. Je pense soudain à mon enfant, à ma femme. C'est trop dur ! Vite, allez ! Appuie sur tes bras, Thomas, pousse dessus ! Il fait nuit, mais le bleu prend le dessus tout de même. Le courant me porte et je lui obéis.

J'ai envie de pleurer, mais il ne faut pas. Non, courage, Thomas ! Ce cauchemar, cette torture dure des heures. La mer finit par s'apaiser. Mes genoux butent sur du sable. Ça y est ! J'y suis. C'est fantastique ! Je n'en peux plus.

J'avance. J'entre dans une forêt de pins. J'avance à travers les fougères. J'entends des bruits d'animaux effarouchés. Des ronces me lacèrent les bras. Je manque de me tordre la cheville sur une pomme de pin.

J'ai les bras croisés sur mon ventre. Le ciel est magnifiquement...noir. Tout à coup, le bruit d'un avion, une traînée blanche rectiligne. La séparation est nette. Mes pensées à l'instant se divisent elles aussi. Suis-je mort ou vivant ? Est-ce que je me comporte comme un être vivant, en son âme et conscience ? La fuite en avant ou le retour en arrière ?

Je me mets à marcher à reculons, me cognant aux pierres hautes ou à des buissons épineux.

Je finis par me retrouver au sol, sur une flaque d'eau verte. Après m'être défait d'une partie de mes habits trempés, je reprends mes réflexions cumulo-nimbesques. Que représente l'homme au sein de l'univers ? Quelle insignifiance !

Voilà la route ! J'entends le bruit d'un moteur automobile. Je me mets en position d'autostoppeur. L'auto ne s'arrête pas.

Trois quarts d'heure plus tard, une autre voiture passe. Le conducteur semble ne pas me voir. J'ai envie de le tuer, froidement.

Après, c'est le tour d'une grosse auto. J'allume mon briquet pour attirer l'attention. Le véhicule me frôle à plus de cent dix kilomètres à l'heure.

Et c'est à pied que j'accomplis les derniers arpents jusqu'à Maubuisson.

J'aperçois un bar, mais il est fermé.

Puis la chance me sourit enfin. Une enseigne lumineuse « la Pergola », m'indique un café ouvert.


Publié dans témoignages

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