Retour vers mon enfance (21)

Publié le par B. B.

Johanna ... (suite)...

Deux coups de fusil, secs, tirés non loin, mettent fin à mes réflexions. La chasse est ouverte depuis quelques jours. Je respire l'air humide du sous-bois. Ca sent les champignons, la feuille qui pourrit et la mousse. Le soleil perce par taches le feuillage. Des libellules volent au-dessus du ruisseau. Des vaches, dans le champ, me suivent du regard.

J'arrive maintenant au bout du chemin et j'aperçois le muret de pierres sèches où les tentacules du lierre ont tendu leurs vrilles. Un chat s'étire au soleil. Je pousse le portail de fer forgé qui grince sur ses gonds. Les gravillons crissent sous mes pieds pendant que je remonte l'allée. Tout est calme. On n'entend que le gazouillis des oiseaux. Le cimetière étage ses rangées de tombes sur une pente douce. Les stèles sont, pour la plupart, assez modestes. Des mausolées en ciment, rongés par la mousse, ont été érigés çà et là. De vieilles Croix gisent dans l'herbe, au milieu des tombes abandonnées. Des caveaux en marbre ou en granit les remplacent peu à peu.

Je me recueille un instant devant la concession de mes grands parents, et je remets quelques fleurs en place. Un peu plus loin, je m'incline devant les caveaux de gens que j'ai connus. Puis enfin, j'arrive devant ta tombe Johanna. Tout est blanc : la Croix, les fleurs, les plaques, les Anges. Ton épitaphe, en lettres dorées, est un bref résumé de ta courte vie : ici repose Johanna : 1954/1968. Je tapote le marbre tiède d'une main amicale. Quarante ans déjà que tu m'as quittée ! Quarante ans qu'un automne lugubre a succédé à ce merveilleux été. Ce tragique et stupide accident, à l'aube de ta vie, nous a séparées à jamais et m'a plongée dans le désarroi le plus profond. Mourir à quatorze ans, quelle injustice, quelle cruauté !!! Une indicible souffrance m'a accompagnée pendant plusieurs semaines. Mes nuits étaient peuplées de cauchemars. Je me sentais si seule, si abandonnée...

Il m'a fallu longtemps avant que la douleur se calme en moi, avant que j'accepte. Ton beau sourire, tes yeux si transparents, ta gentillesse, je ne les ai jamais oubliés. Ce que nous avons si étroitement partagé, plus jamais je ne l'ai vécu avec quelqu'un d'autre. Tu resteras à jamais mon amie.


Publié dans témoignages

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J
Ah ! l'amitié ! Noble sentiment ! Et, je le crois aussi, une vraie amitié ne s'oublie jamais. A plus forte raison quand elle s'est ainsi rompue brutalement et à un âge (l'adolescence)où nous percevons ces terribles coups du sort encore plus intensément. Hélas, c'est la vie ! Il nous faut, malgré tout et toujours, essayer de réagir. Mais je veux bien croire qu'en parler encore aujourd'hui, par écrit, n'a pas été chose aisée. Cela se sent. Mais je suis persuadé aussi qu'en même temps cela t'aura fait un bien énorme. Il est bon en effet à un moment donné de faire émerger de tels souvenirs qui sont si longtemps restés enfouis en nous ! Un jour vient le besoin de dire, de raconter, d'exprimer ! Qui ne l'a constaté, par exemple, auprès de réfugiés espagnols qui ont laissé leur pays et tous leurs souvenirs au moment de la guerre civile ?
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