Retour vers mon enfance (26)
La Boulangerie ...
Je sors maintenant du bourg et je reprends le chemin de la maison. Au bord de la route, de petites pommes rouges piquetées d'or sont tombées et commencent à pourrir. Des abeilles en aspirent la pulpe et s'affairent sous la peau.
En contrebas, j'aperçois les tuiles de l'ancienne boulangerie mais aucune fumée ne s'échappe plus de la cheminée. Tout est silencieux et les volets sont fermés. Il ne reste que quelques bûches sous le hangar où la réserve de bois et de fagots était toujours au maximum.
L'hiver, en partant pour l'école, nous aimions nous arrêter au fournil pour nous réchauffer, et l'agréable odeur de pain chaud qui se répandait nous mettait l'eau à la bouche.
Georges, le boulanger, était costaud. Le maillot de corps sans manche laissait apparaître une poitrine velue et des bras musclés. Il était saupoudré de farine jusque dans la moustache et jusqu'au bout des cils. Pétrir à la main était une rude tâche : farine, eau, sel, et levain étaient malaxés longuement. Ses gestes nous fascinaient : il pétrissait, remuait, retournait, étirait, soulevait, battait et rejetait la pâte. Il la laissait lever puis il la divisait pour former des pains. Souvent, il surveillait le foyer. Il ajoutait de grosses bûches et le feu léchait le plafond du four. C'était un énorme brasier qui crépitait. On se rôtissait le visage à le contempler. Quand le four était à bonne température, il marquait les pains avec un petit couteau, puis il les enfournait à l'aide d'une longue pelle de bois qu'il envoyait et retirait aussitôt avec souplesse et rapidité. Quand il sortait sa fournée, les miches craquaient et embaumaient le fournil. Il nous offrait un quignon encore chaud où nous plantions nos dents avec délice.
Les baguettes se vendaient peu. Par contre, les gros pains en forme de roue, de couronne ou allongés étaient les plus demandés. Les larges tranches taillées conservaient toute leur saveur avec le temps. En plus d'être savoureux, le pain était respecté : aucun de nous ne se serait avisé de gaspiller un seul morceau. Avant de l'entamer, mon Père avait l'habitude de dessiner une croix avec la pointe de son couteau sur la croûte. Il ne fallait jamais le mettre à l'envers sur la table. Pour le goûter, Maman nous coupait de grandes tartines qu'elle couvrait de beurre ou de confiture.
Aujourd'hui, rares sont les boulangers qui cuisent au four à bois. Et pourtant, qu'il serait bon de retrouver l'inégalable pain d'autrefois.