Retour vers mon enfance (31)
Le village semble endormi, léché par un soleil de plus en plus rasant. Un vieux chien en vadrouille s'approche de moi, en confiance. Chaque maison a un banc près de son seuil, et pendant les longues et douces soirées de la belle saison, on se retrouvait là, entre voisins, pour de paisibles bavardages. Mais pour l'instant, il n'y a personne car il faut se hâter avant les premières pluies vraiment froides qui viendront bientôt. D'énormes machines agricoles, aux dents gigantesques, transforment les vastes étendues de maïs en champs de batailles où ne restent que quelques pieds déchiquetés. Une noria de tracteurs, tirant des remorques pleines de grains jaunes, se dirige vers la coopérative la plus proche. Il n' y a pas de temps à perdre.
Je me souviens, avec un peu de nostalgie, des moissons d'autrefois durant lesquelles, malgré un labeur souvent éprouvant, on partageait une ambiance chaleureuse et festive. C'était l'occasion de repas conviviaux qui réunissaient tous les voisins venus aider afin d'accélérer le travail et garantir des produits de bonne qualité.
La période des récoltes démarrait en général en juillet, dès que le blé était mûr. Quand les épis, jaunes et secs, s'égrenaient dans la main, on démarrait les moissons. Dès le lever du jour, on était déjà dans les champs pour travailler le plus possible tant que la chaleur était supportable. Les heures s'écoulaient alors, tout juste coupées par des casses croûtes qui rythmaient la journée. Nous, les enfants, sagement assis à l'ombre, nous passions de longs moments à observer la faucheuse qui coupait la blonde marée. Puis, le blé était ramassé pour former de petites gerbes qui étaient entassées avant d'être chargées dans la charrette. Quel joie, pour nous, quand on nous autorisait à grimper tout en haut de ce chargement odorant qui nous égratignait les jambes ! Les gerbes étaient ensuite déchargées dans la cour de la ferme et rassemblées pour former un immense gerbier en forme de cône. On ne s'arrêtait qu'avec la tombée du jour, quand la nuit rendait toute tâche impossible.