Du mariage « pour tous » (4/8)
Article précédent : Du mariage « pour tous » (3/8)
Article glané sur le blog de Maître Eolas.
Vifs remerciements.
Du mariage « pour tous »
4/8
«Le projet de loi.
Après avoir fait un rapide voyage à travers le temps, projetons-nous dans un avenir proche et voyons ce que dit cette loi, ce qui nécessairement nous fera aborder la question de savoir ce qu’elle ne dit pas.
Le projet de loi a voulu faire dans la simplicité, ce qui ne se traduit pas forcément dans sa rédaction, mais c’est la loi du genre.
Le projet de loi tire les conséquences de la jurisprudence liée à l’affaire du mariage de Bègles, dont je vous ai entretenu dans le billet précédent, et de sa confirmation implicite par la décision du Conseil constitutionnel du 28 janvier 2011. Puisque le seul obstacle est rédactionnel, il se contente, après avoir posé une définition du mot “mariage” qui n’y figurait pas jusqu’à présent[1], de modifier les articles du Code civil qu’il faut changer pour que le mariage puisse aussi s’appliquer entre personnes de même sexe, et en tire les conséquences nécessaires sur le plan de l’adoption. Comme nous le verrons, il ne touche en rien à la filiation, ce que ses opposants semblent ignorer.
Ainsi, par exemple, l’article 144, qui fixe l’âge nubile, actuellement rédigé “L’homme et la femme ne peuvent contracter mariage avant dix-huit ans révolus”, deviendra “Le mariage ne peut être contracté avant dix-huit ans révolus.”
Le projet de loi initial prévoyait de longs articles de coordination remplaçant chaque fois que c’était nécessaire dans le Code civil et les autres Codes concernés (Code rural, Code de la sécurité sociale…) les formulations renvoyant implicitement à un couple de sexe différent par une formulation plus neutre. Ces articles ont été remplacés en commission des lois par un article dit “article balai” qui ne touche pas à ces dispositions éparses mais dit qu’il faudra désormais les lire comme s’appliquant à un couple de même sexe. Cette méthode me laisse réservé car si elle raccourcit le projet de loi, elle ne le rend pas plus clair : si pour comprendre qu’il faut lire l’article 149 comme ne disant pas vraiment ce qu’il dit, il faut au préalable avoir lu le mode d’emploi situé au tout début du Code à l’article 6-1, je crains que le Conseil constitutionnel ne censure une violation de l’obligation d’intelligibilité de la loi. Sans être dans le secret des dieux, j’ai bon espoir que la rédaction originelle soit rétablie en séance publique, cette modification temporaire ayant eu pour effet de faire tomber les nombreux amendements de l’opposition déposés en commission sur ces articles sans qu’il soit besoin de les examiner un par un.
Voilà. On a fait le tour de l’essentiel du projet de loi. Mais rassurez-vous, je n’ai pas dit que j’avais fini ce billet. Car en effet, il comporte un deuxième chapitre sur l’adoption, et c’est là que nous entrons sur le champs de bataille politique. Avant de l’aborder, il me semble judicieux de rappeler ce que sont, d’un strict point de vue juridique, le mariage et l’adoption.
Le mariage.
Le mariage a un double aspect qui le rend assez unique, en tout cas totalement à part, dans notre droit et dans tous les droits d’ailleurs : un aspect contractuel, et un aspect institutionnel, qui sont deux termes pourtant antagonistes. Voilà la première clef du mariage : c’est un oxymore.
L’aspect contractuel est en premier lieu que sa formation repose sur le consentement des deux parties. La question du consentement dans le mariage est fondamental : “Il n’y a pas de mariage lorsqu’il n’y a point de consentement” (art. 146 du Code civil).
Au delà de ce consentement, propre du contrat, les effets du mariage sur le plan patrimonial peuvent être assez largement décidés par les époux par le choix du régime matrimonial (que dans le langage courant on appelle le contrat de mariage), qui permet de faire des choix dérogeant au droit commun, sur des biens futurs, sur des donations, sur la gestion et la liquidation de l’indivision spécifique au mariage qu’on appelle communauté (non, pas la Communauté de l’Anneau, c’est autre chose). Je ne rentrerai pas dans les détails, qui font les délices des étudiants en droit privé pendant un semestre et le bonheur des notaires pendant toute leur vie, mais disons que les époux peuvent choisir le sort de leurs patrimoines respectifs, an allant de la séparation pure et simple (qui n’est pourtant pas absolue, loin de là) jusqu’à la confusion la plus parfaite, avec la communauté universelle. Les notaires sont les rois du tuning en la matière, n’hésitez pas à les consulter avant de vous marier (le contrat de mariage doit impérativement être signé avant la célébration des noces). Un contrat de mariage coute quelques centaines d’euros et peut vous en faire économiser quelques dizaines de milliers.
L’aspect institutionnelveut quant à lui que le mariage a des effets impératifs, fixés par la loi, auxquels les époux ne peuvent pas déroger et qui sont communs à tous les mariages. C’est ce qu’on appelle le régime primaire, terme existant bien avant la création de la sécurité sociale. Le régime primaire est fixé par les articles 212 à 226 du Code civil (dans le livre sur les personnes). Le régime matrimonial, le fameux “contrat de mariage”, est régi par les articles 1387 à 1581 (dans la partie consacrée aux biens), selon les divers cas. Cet aspect institutionnel se manifestait il y a encore quelques années par la prise en compte fiscale, mais cet aspect ne lui est plus spécifique depuis que le PaCS jouit à peu de choses près du même traitement.
Pour tout résumer en une phrase, du point de vue du droit civil, le mariage ne sert que quand surviennent les ennuis. Et la vie est ainsi faite qu’ils surviennent tôt ou tard, que ce soit la mésentente, le décès, la maladie ou autre. »
(A suivre)