Mon arrivée en France… (1/2)
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Mon arrivée en France…
Aînée de trois enfants, à l’âge de dix-huit ans, je me suis mariée avec Geronimo Da Silva qui travaillait dans la même usine textile que moi à Riva-Deava, au Portugal.
Nous avions deux enfants : Jean, né en 1966 et Sandrine née en 1967. Mais en janvier 1968 mon époux a voulu rejoindre la France pour trouver un travail plus lucratif dans le secteur du bâtiment.
C’est alors que j’ai décidé de le rjoindre en pleine ignorance des conditions d’accueil en France et plus spécialement à Lourdes où il était domicilié. Bien entendu, j’amenais les enfants avec moi. Je me souviens de mon départ de Riva-Deava où mon père avait voulu m’accompagner. Il ne cachait pas son inquiétude de me voir, comme il disait, « partir au bout du monde ». En effet je ne connaissais rien de ma destination, de mon itinéraire, des modalités de transport puisqu’il ne pouvait s’agir que d’une « émigration clandestine » vers un pays qui, à l’époque, représentait pour moi un Eldorado.
Mon père ne comprenait pas comment je pouvais me lancer dans une telle aventure avec deux enfants en bas âge alors qu’au Portugal, j’avais toute ma famille, mes amis et un emploi aussi modeste soit-il !
J’ignorais tout sur l’organisation de ce voyage sauf que j’avais dû payer une somme relativement importante de 15 000 escudos représentant 1 000 F d’alors à un « passeur » que je ne connaissais pas.
Pour éviter d’éveiller l’attention sur cette fuite illégale on devait donner l’apparence d’une participation à une fête de famille. J’étais donc vêtue pour cette circonstance d’un ensemble en velours noir, d’un chemisier en broderie anglaise et j’étais chaussée de souliers noirs, vernis.
Mon départ avec mes deux enfants a eu lieu le 9 septembre 1969 de Riva-Dease à bord d’un car qui nous a conduit d’abord à Famalicao où nous avons déjeuné puis à Braga que nous avons atteint vers 16 H. Déposés à la gare routière, nous avons attendu jusqu’en fin d’après-midi un taxi qui nous a ammenés jusqu’à la frontière entre le Portugal et l’Espagne, à Chaves.
A la tombée de la nuit, nous avons franchi la douane, à pied, clandestinement…
Là se situent les premières difficultés. Je me suis retrouvée dans un groupe de quinze personnes environ engagée dans une longue marche de nuit, dans l’obscurité. Cela a duré une heure au moins jusqu’à ce que nous atteignions un hameau où nous avons été hébergés pour la nuit. Au cours de cette marche, j’étais particulièrement gênée par mes vêtements inadaptés, jupe étroite, chaussures découvertes, au point que j’avais perdu un soulier lors de cette chevauchée nocturne où il fallait à tout prix suivre le groupe.
A 4 H du matin, nous avons eu l’ordre de nous lever et de reprendre notre marche jusqu’à Palencia où nous nous sommes arrêtés dans une petite auberge. Sur le point de reprendre un car, un monsieur m’a fait remarquer que je ne pouvais pas continuer ce voyage déchaussée. M’ayant proposé de me dépanner, il m’a échangé le seul argent que je possédais contre une paire de pantoufles, me rendant seulement quelques menues monnaies.
Dans ce car notre route s’est poursuivie jusqu’aux portes de Burgos pendant toute une journée au terme de laquelle nous avons été conduits dans une ferme, pour dormir.
Cette nuit a été particulièrement éprouvante et me laisse le souvenir le plus douloureux car je ne savais plus comment apaiser mes deux enfants. J’allaitais encore ma petite fille mais l’aîné pour lequel je ne disposais d’aucune nourriture était épuisé et affamé.
Je n’avais plus d’argent pour me procurer la moindre denrée. Et ce voyage devait continuer encore…
(A suivre)