Monsieur Ronchon et la vitesse
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Amédée harangue Monsieur Ronchon, devant le bar le Cantegrill :
- Plus vite, Monsieur Ronchon, plus vite !
- Et pourquoi donc, mon cher ami ?
- Plus vite on est assis, mieux on est installé en terrasse : les places sont chères !
- Certes, tu n’as pas tout à fait tort ; ceci dit, il est bon aussi de prendre son temps parfois, non ?
- Que voulez-vous dire ?
- Et bien, je remarque que, dans la vie de tous les jours, on fait tout vite : manger, marcher, parler, aller aux toilettes… C’est fatigant.
- C’est pour ne pas perdre de temps, parce que le temps… c’est de l’argent !
- Oui, jeune homme, mais le temps, c’est relatif : 1 seconde, 1 minute, 1 heure ou 1 jour, qu’est ce que c’est dans une vie ?
- Là, je retrouve Ronchon, le philosophe. Restons sur le terrain si vous voulez bien, Monsieur Ronchon.
- Si tu veux, Amédée, mais je ne suis pas si éloigné de la réalité que ça. Les gens aujourd’hui sont toujours pressés, ils ne prennent plus le temps de vivre, de respirer, de telle sorte qu’ils se muent en esclaves de l’Horloge, du Planning, de l’Agenda. Tournons nous plutôt vers les paysans : eux, ils se fient au soleil pour travailler la terre et n’ont que ce repère sur la journée. J’ai une anecdote : hier, vers 18h, je me promenais en haut du Tougaya, j’en ai vu 2 qui discutaient et qui n’étaient pas à la minute près, le fossé étant curé. L’un d’entre eux allait probablement récupérer son râteau et sa pelle plus tard, sans inquiétude de rendement ou autre souci…
- Oui Monsieur Ronchon, mais tout de même, vous ne pouvez pas négliger l’idée de performance, d’efficacité.
- Té, tu me rappelles l’autre imbécile, qui est passé à la télé cette semaine, interrogé par l’autre empâté du PAF. Non, il ne faut pas toujours travailler plus, pour gagner plus. Sinon, c’est au détriment de la qualité, car la vigilance baisse et les erreurs arrivent. Je te conseille vivement le livre de Carl Honoré, « Eloge de la lenteur », un essai très réussi sur le sujet.
- Pour lire, il me faut du temps, et aujourd’hui, je n’en ai pas. Désolé.
- Voilà, c’est ce que je disais : aujourd’hui, on zappe, on jette, on raccourcit. Pense à La Fontaine, avec sa fable du lièvre et de la tortue. « Rien ne sert de courir, il faut partir à point… eh bien, lui cria- t-elle, avais je pas raison ? de quoi vous sert votre vitesse ? moi l’emporter ! et que serait-ce si vous portiez une maison ? ». ça, ce fut une victoire éclatante de la réflexion, la subtilité au détriment de la vitesse, la force.
- Ça ne m’empêchera pas de vénérer quelqu’un comme le jamaïcain Usain Bolt, le plus rapide sprinter de tous les temps ou le guépard, animal élégant de la savane, pouvant courir à près de 110 km/h.
- Tu as raison, mais c’est autre chose. Retrouvons si tu veux bien le plaisir et le goût pour la réflexion ; arrêtons nous en chemin pour respirer l’air, les effluves, humer les plantes odoriférantes, ouïr le joli chant des passereaux ou encore reposer nos vieux membres inférieurs endoloris ! Toi, tu cibles la compétition et la performance, mais dans ces domaines, il n’y a plus grand-chose de naturel hélas : les laboratoires de recherche ne sont jamais très loin, avec la diététique, l’entraînement, la discipline, la médecine… Tout un attirail de béquilles ! Et je ne parle même pas du dopage, auquel tout le monde pense forcément.
- C’est le progrès qui permet de dépasser ses limites.
- Il faut s’intéresser aux arts afin de nous recentrer sur l’essentiel : nous-mêmes. Tiens, j’ai une image qui me vient à l’esprit : connais-tu le paresseux ?
- Le fainéant qui habite à l’entrée du village ?
- Non, Bou Diu ! l’animal, connu pour sa lenteur excessive. Et bien, en se déplaçant de 10 mètres à la minute, il se camoufle. Ses ennemis ne le voient pas. Tu ne trouves pas ça extraordinaire ? Il faut en tirer la leçon.
- Ouai, ça, ça va un temps mais un jour ou l ‘autre, il se fait pincer.
- Rarement. Regarde l’escargot, quelle élégance dans son déplacement ! Je vais te dire : à la télé, les séries comme Derrick, Columbo ou Maigret gagneraient à être diffusées en boucle.
- Hein ? ça va pas non ? C’est ringard et hors du temps !
- Ben justement, réfléchis-y, à deux fois ! Tu verras que j’ai raison… Au fait, merci pour le café, je dois y aller.