« Ni haine, ni oubli » (23)
(Du 26 mai au 11 juin 1942) (suite - 4)
2-3 juin
L’après-midi ai fait un bon repas avec du plan de betterave et du sel, un demi biscuit, dans l’heure je pars, il fait soleil et ai dormi ; en route direction ouest. A droite du village, mais un petit cours d’eau m’oblige à passer au patelin. Je fonce avec une superbe canne, fabriquée du jour, deux jeunes filles m’épient, moi aussi, toujours de l’avant, mais 500 mètres plus loin, j’ai eu plus que chaud, à 2vingt mètres devant moi une sentinelle et son fusil à l’épaule, alors hésite, demi-tour, suis perdu, je continue ferme et maniant avec distoire ma canne, on se croise sans mot et toujours de l’avant je contourne un bois fermé de barbelés, une poudrière sans doute, m’arrête cinq minutes, l’émotion était grande, enfin du courage, fais une prière pour que Dieu continue à me guider et en route
J’arrive enfin à la voie ferrée qui va vers Aix la Chapelle. Apres six km de traversée, suis fatigué et le jour va être là ; mais il y a une petite gare que je veux passer. En y arrivant j’entends causer ; j’arrête et en même temps on m’interpelle ; vite demi tour et aussitôt me fourre dans une haie et laisse passer l’alerte, enfin j’aperçois un bois à droite ; je fonce, ramasse en passant quelques plans de choux pour casser la croûte, arrive, m’installe, avale deux choux au sel et me couche à la lisière ; le hasard veut que deux camarades viennent herser tout près ; j’en appelle un ,lui explique mon cas et rien à croûter ; il me dit que l’après midi il revient et me portera un peu de pain ; en effet à une heure il me porte six casse-croûte, un litre de café ; j’en mange deux et fais mon carnet. Je reprends confiance, Dieu m’aide, je vais réciter mon chapelet et à ce soir ; deux autres camarades avec cinq casse-croûtes. Une heure avant de partir : soixante quinze biscuits et un casse croûte, me voilà bien muni, je n’ai plus besoin que de l’aide de Dieu, j’ai confiance.
3-4 juin
La nuit est bien là, en route, reprendre la voie, j’arrive, la voie est en contre-bas et en descendant la ravin je glisse, tombe et me foule la cheville gauche ; suis obligé de me déchausser, me frotte un moment et je repars ; une fois chaud ça va mieux ; je fais douze km, traverse la gare de Buren je ne sais comment. Un peu plus loin, suis de nouveau rappelé à l’ordre par un garde barrière, je continue, un km plus loin c’est un aiguilleur qui me cause : suis obligé de quitter la voie ferrée pour passer ; je souffre de la cheville et me dirige à la recherche d’un bois ; le jour vient, le bois est éloigné de la voie et arrive péniblement ; je me masse ; j’ai les pieds et le bas des pantalons trempes de rosée ; le soleil se lève et va me sécher ; me fais une bande pour la cheville avec ma ceinture de flanelle ; ne sais si ce soir je pourrais marcher beaucoup et tout de même ne suis qu’à trente km de la Belgique ; pendant le jour me suis doublé la semelle des chaussons avec le col du manteau.
Les journées sont longues, interminables, aurai le temps de dormir mais le sommeil ne vient pas ; l’après midi je récite mon chapelet et demande à Dieu qu’il continue de me guider
(A suivre)