« Ni haine, ni oubli » (24)

Publié le par A-M. R. / H. R.




Article précédent :   « Ni haine, ni oubli » (23)

CARNET DE L’EVASION DE Jean J.

(Du 26 mai au 11 juin 1942) (suite - 5)


 4-5 juin

 

Enfin le crépuscule arrive ; ma cheville solidement bandée, me chausse et commence à marcher pour la réchauffer. Les premiers pas sont douloureux, mais je continue et ça va un peu mieux ; je sors du bois et me voilà désorienté : il me semble que la voie ferrée s’en va au Nord. Je marche un peu et hésite à partir à travers champs vers l’Ouest ; il y a du brouillard et suis déjà trempe ; j’arrête, consulte ma boussole et heureusement me décide à reprendre la voie, car c’était moi qui faisais erreur. Je marche assez doucement, mais ne souffre pas trop et le matin arrive. Après avoir fait une douzaine de km, je passe un petit tunnel ce qui n’est pas très intéressant et voilà cette fois un bois au bord de la ligne, un petit ruisseau ou je  rempli ma bouteille et m’installe pour passer la journée. Toujours le soleil, passe une bonne journée, ma cheville enflée mais disposé à remettre ça la nuit venue, j’espère que tout ira bien.

 

5-6 juin

 

Je démarre à travers bois pour contourner une usine qui  longe la voie. Au bout d’une heure me voilà de nouveau sur les traverses des rails et en chaussons je marche, arrive dans un tunnel de 500m ou 600m de longueur. Dans cette obscurité la marche est difficile ; je trébuche, la cheville n’est pas à son affaire et la sueur coule. Bientôt, après une nouvelle alerte d’avion ; la DCA tire et suis obligé d’arrêter : il y a une gare de triage ; l’alerte terminée, en route mais peu après j’entends causer et marcher sur la voie, me couche dans l’herbe et espère que ces messieurs iront bientôt dormir. Apres un long moment, je n’entends plus rien, je fonce, mais hélas c’est l’alerte pour moi qui commence ; je suis sans m’en douter dans la banlieue d’Aix la Chapelle et ce n’est que par miracle de Dieu que j’en sort libre. Les causeurs de tout à l’heure n’étaient que des aviateurs d’un poste de DCR. Je croise les deux sentinelles ; la première ne me dit rien, la 2ième après l’avoir dépassé, m’appelle ; je fais le sourd et continue. Deux cent mètres plus loin c’est la gare. L’aiguilleur me demande où je vais ; je marche toujours, alors il appelle un de ses collègues qui était à cinquante mètres devant moi de me demander les papiers. Aussitôt je saute une balustre et ma voilà sur la rue, un carrefour avec deux promeneurs, je passe derrière eux. Ils s’arrêtent et me regardent ; je marche lentement, ne pense plus à ma cheville mais à me sortir de cette impasse et de la ville car le jour se lève.

 

Je monte une rue qui  me conduit à une caserne et pour ne pas passer devant le poste, j’escalade la barrière d’un jardin et palissade sur palissade j’arrive au bord d’un petit bois mais clôturé de barbelés de deux mètres de haut. Je passe tout de même et me trouve dans un cimetière ; j’escalade de nouveau pour sortir ; toujours deux mètres de haut , devant moi toujours du bois ; je fonce, il fait jour ; voilà une autre palissade aussi haute ; même opération et enfin arrive en plein bois. La chemise mouillée et les cheveux raides, j’arrête, me déchausse, le soleil est levé ; fais sécher mes pauvres chaussons et chaussettes, fais la prière, casse la croûte et dors un peu ; mais les moustiques me dévorent et  ce soir tache d’arriver dans un village belge.


 

(A suivre)


Publié dans historiques

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article