Nouvelle : Branle-bas au palais (5)
Chapître précédent : Nouvelle : Branle-bas au palais (4)
Avec toute sa volonté qui l’encourage, la guide, mademoiselle P. ouvre donc la porte du bureau du chef de cabinet et s’avance dans une vaste pièce, rectangulaire, bien éclairée par la lumière naturelle. Accrochés aux murs, les quelques tableaux d’artistes connus attirent immédiatement le regard et laissent supposer que l’hôte des lieux a pour la peinture des goûts plutôt éclectiques. Juste en face la porte principale trône un imposant bureau ovale. Derrière ce dernier, absorbé par sa tâche, l’homme de pouvoirs n’a pas pour l’instant encore levé la tête pour dévisager la personne à qui, comme sans y prêter attention, il a donné l’autorisation d’entrer.
A peine a-t-il levé les yeux qu’en apercevant, là, à quelques pas devant lui mademoiselle P., son visage change de couleur, blêmit et exprime à travers sa crispation aussi subite qu’indescriptible une peur que seuls des condamnés à mort peuvent ressentir au pied des marches conduisant au gibet ou devant un peloton d’exécution.
« Vous ? ... Ici ? ... Au palais ?... »
« Respectueusement vôtre. » salua mademoiselle P..
« Que vous a-t-il pris ? C’est de la folie. »
« Comment ? Qui est le plus fou de nous deux ? Voulez-vous l’entendre ? »
« Mademoiselle… je vous en prie… mesurez vos propos… nous sommes dans l’antre du pouvoir. »
« Grand bien vous fasse ! Moi, je suis ici pour apprendre la vérité. Toute la vérité ! Rien que la vérité ! Et il est temps, ne croyez-vous pas ? »
« Quoi ? … Que voulez-vous ? »
« Après beaucoup de patience, soyons on ne peut plus clair, je ne sortirai d’ici que lorsque j’aurai vu Monsieur le Président. »
« Impossible. Vous le savez bien. »
« Impossible ? » rétorqua sèchement mademoiselle P..
« Il est impossible de lui rendre visite… mais l’instinct de vie le fait lutter encore. »
« Je l’espère de tout cœur. Cela dit, monsieur, si je suis venue aujourd’hui ce n’est pas pour me contenter de ces bonnes et à la fois inquiétantes paroles. »
« Et vous osez mettre la mienne en doute. »
« Monsieur, trop c’est trop. Vous avez usé, abusé de ma bonté, de mon silence. Je vous le répète, je veux me rendre compte moi-même de l’état réel dans lequel se trouve Monsieur le Président. A mes heures, c’est vrai, je suis péripatéticienne, de luxe pourrais-je préciser, mais je suis tout autant citoyenne de la République. »
« Ce qu’il ne faut pas entendre ! Voilà qu’une pute revendique sa citoyenneté ! »
« Permettez, monsieur, qu’une dernière fois, avec tout le respect que j’ai pour l’homme que vous êtes, pour les hautes fonctions que vous exercez, je vous demande de me conduire au chevet de mon ami. »
« Je ne le peux. Combien de fois devrais-je vous le redire ? »
« Dois-je en conclure que Monsieur est déjà mort, bien mort ? »
« Encore une interprétation toute gratuite ! »
« Vous le savez, vous : soit il est décédé soit cet acharnement thérapeutique est inqualifiable, intolérable, inhumain. Le peuple a le droit de tout savoir. »
« Et l’intérêt du pays ? »
« C’est votre dernier mot ? » ajouta mademoiselle P..
« Nous faisons, mademoiselle, ce que nous devons. »
« Dans ces conditions, je vous laisse 48 heures pour annoncer au pays la mort de notre regretté Président. Cet ultimatum expiré, je lance moi-même la nouvelle sur Internet à midi dans trois jours et quelles qu’en soient les conséquences pour ma modeste personne. A mes yeux, l’intérêt général l’exige. Je n’ai que trop tarder ! A cause de vous ! A plus tard car suis persuadée que nous nous rencontrerons à nouveau. »
« Mademoiselle… » tente, vainement, d’appeler, cloué et anéanti sur son fauteuil, le chef de cabinet tandis que mademoiselle P., attristée, révoltée, culpabilisée quitte à la hâte ce maudit palais…
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Tôt ou tard, d’une manière ou d’une autre, toute vérité éclate au grand jour.