Regards philosophiques (107)
Article précédent : Regards philosophiques (106)
Thème :
« A quoi sert la philosophie ? »
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Débat (suite) :
G Extraits d’un poème de Victor Hugo (N° XIII de son recueil posthume Toute la lyre) :
Ah ! La philosophie est vorace !
Ah ! La philosophie est vorace ! Il lui faut
L’idée avec le fait, la chose avec le mot,
Le connu, l’inconnu, le réel, l’impossible.
Elle ne peut marcher sans tout ce combustible.
C’est en épuisant tout que ce lourd cachalot
Nage, vogue, navigue, et se maintient à flot.
[…]
Ainsi l’esprit humain, glouton quoique tardif,
Dans son voyage autour des systèmes, consomme
L’éternité, le temps, la mort, la vie et l’homme.
Et tout cela pourquoi ? Pour ne pas arriver.
Pas de pilote ; pas de boussole ; rêver
Dans tout lointain nuage une rive abordable,
Percer l’impénétrable et sonder l’insondable,
Tel est l’effort humain quand il fouille le ciel.
La philosophie erre au noir gouffre éternel ;
Atteindre à Dieu ! Comment ? Elle ignore les passes ;
Et souvent elle va, dans les sombres espaces
Jetant sa cargaison, faux et vrai, mal et bien,
Se heurter à l’écueil infranchissable Rien,
Roche obscure où, battu du doute aux flots sans nombre,
L’énorme Spinoza râle, échoué dans l’ombre.
► On a dit que la philosophie, c’est se poser les bonnes questions. Dans nos débats, nous en sommes depuis treize ans à 200 restitutions, soit 200 « bonnes » questions et plus de trois cents heures de débat. Au final, j’ai le sentiment que depuis 1999, grâce à l’étude et aux débats, cela m’a aidé à évoluer. Donc, la philosophie nous aide dans notre chemin personnel, même si on en est encore qu’au niveau « d’apprenti philosophe ». Quant à la science, dont on a dit qu’elle peut expliquer le « comment », alors que le philosophe lui cherche le « pourquoi », la pratique philosophique nous apprend non seulement à avoir un regard différencié, mais aussi à y regarder de près devant tous les « parce que ».
► La philosophie, cela ne sert à rien et c’est cela qui est bien ! Justement, j’ai eu la chance en
terminale de faire de la « philo » ; ce qui m’a beaucoup plu, c’est qu’il n’y avait pas d’objectif particulier.
On vit dans un monde tellement utilitaire, où tout doit servir à quelque chose ; on se pose sans cesse la question : « A quoi ça sert ? », « Comment on s’en
sert ? ». La philosophie n’est pas au service d’une cause, ce n’est pas comme la politique ou l’économie. Son intérêt, c’est que c’est complètement gratuit.
Après, quand on la pratique un peu, ne serait-ce que pour se faire plaisir, on en tire quelque chose. En fait, la philosophie, c’est utile parce que c’est inutile !
► La philosophie est utile, non pas bien sûr dans le sens utilitariste, parce qu’elle peut être subversive, dangereuse, lorsqu’elle permet de penser par soi-même ; c’est pour cela qu’elle n’est pas, ou n’est plus, dans les programmes d’enseignement secondaire dans de nombreux pays.
► Dans une société qui utilise surtout la science pour son aspect rentable, je suis frappée par le nombre de
gens qui ont des activités totalement inutiles ; j’en vois tous les jours. Il y en a qui font de la musique, d’autres du scrabble, toutes sortes d’activités. Cela ne fait pas avancer la
société, bien sûr ; Cela ne sert qu’à une chose que je résume par le mot « plaisir ».
Quand on pense, quand on échange, quand on lit, quand on découvre d’autres types de pensée, cela procure du plaisir et, en même temps, de la liberté. La philosophie est libre ;
philosopher est un acte libre. On en revient à l’expression « rendre les gens heureux » et libres. Libres et capables de refuser et de lutter. Et être heureux, c’est utile,
n’est-ce pas !
►« Philosopher, c’est apprendre à mourir », disait Montaigne (en reprenant Platon). A cette expression prise au pied de la lettre, je dirais que je préfère qu’elle m’apprenne et qu’elle m’aide à vivre. Mais nous savons qu’il faut la prendre dans le sens de la philosophie d’Épicure, « ne pas craindre la mort », supporter le côté absurde de la vie, même quand il faut sans cesse remonter le rocher, tel Sisyphe.
extraits de restitution d'un débat du café-philo
avec lequel je garde un lien privilégié
en tant qu'un des artisans de sa création.