Regards philosophiques (111)

Publié le par G-L. P. / J. C.

 

 

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Thème :

  « A quoi sert le savoir ? » 

 


3

  Débat :

  

 

 

Ce que je voudrais d’abord souligner, c’est que le savoir fut utilisé dès les origines pour définir ce qu’est l’homme, la nature humaine, si on se réfère aux modèles d’explication du monde, modèle religieux, modèle scientifique. Dans ce dernier, on définit l’homme d’abord comme  l’homo erectus, l’homo habilis, là c’était déjà le savoir-faire, puis l’homo sapiens-sapiens, l’homme sage et savant. Donc l’humain est déterminé par rapport à son savoir. Et si on prend la religion, l’homme est déterminé par sa quête de savoir.


Le mythe fondateur de la religion chrétienne est Adam et Eve. Ils ont voulu accéder au savoir et ils ont goûté du fruit de la connaissance ; ils ont alors été maudits et chassés du paradis. Puis, dans l’histoire de dieux grecs, nous trouvons encore la malédiction du savoir avec Prométhée enchaîné sur son rocher pour avoir apporté des connaissances aux hommes. Ou aussi le mythe de la tour de Babel. Donc, le savoir, cette volonté de comprendre, définit la nature humaine.


Des textes datant de 1080 montre que le mot latin « sapere », initialement « avoir de la saveur, du goût », a déjà évolué vers « être sage, perspicace, savant, comprendre, savoir ». Descartes, dans une lettre du 11 mars 1640, écrit : « Pour la physique, je croirais n’y rien savoir, si je ne savais que dire comment les choses peuvent être sans démontrer qu’elles ne peuvent être autrement ». Alors que Socrate disait qu’il savait qu’il ne savait rien, malgré toute son érudition, Montaigne a laissé son expression : « Que sais-je ? » (termes devenus le titre d’une collection des savoirs aux Presses universitaires de France – PUF).


Il faut savoir pour faire face à des questions comme « Dieu seul le sait », ou « T’as d’beaux yeux, tu sais ! ». Et puis savoir, c’est savoir un texte, savoir son rôle.


Je retiens  ces lignes de Victor Hugo dans « Homme qui rit » : «  Il savait qu’elle était amoureuse de lui, ou du moins qu’elle le lui disait. Le reste, il l’ignorait. Il savait son titre, et ne savait pas son nom. Il savait sa pensée, et ne savait pas sa vie. »


J’ai décomposé la question en deux temps, en me demandant d’abord : pour moi, qu’est-ce que le savoir ?


Si je regarde une baguette de pain, je connais la chose, je connais son nom, je sais qu’elle se compose de farine, de levain, de sel…, mais je suis loin de tout connaître de cette chose qui m’est familière. Je ne sais pas de quelle région vient le blé ; j’ignore les ingrédients nécessaires pour la pâte, etc. J’ignore donc énormément de choses par rapport à cette baguette. Ce constat d’ignorance me permet de vérifier que ce que l’on voit régulièrement, et qu’on désigne sous le nom de baguette, n’est pas un réel savoir, mais quelque chose non-savoir qu’on connaît d’une manière générale et vague. Pour connaître la chose, il faudrait avoir la volonté de rechercher toutes ces inconnues. En conséquence, pour moi, le savoir correspond à la partie visible, dans un choix, ou dans un fait. Le savoir correspond aussi à ce qui est plus ou moins caché et qu’il nous appartient de questionner. Il y a savoir la partie visible de la chose et le savoir pas si simple à appréhender. Il y a toujours plus à savoir que ce que l’on voit.


Je me suis inspiré d’un ouvrage collectif, écrit par 72 intellectuels qui répondent à la question « A quoi sert le savoir ? » (titre du livre). Je vais citer un des auteurs, Jean-Baptiste Jeangène Vilmer,  qui répond à cette question. Pour lui : « Le savoir ne sert à rien », car, dit-il « se demander à quoi sert le savoir présuppose déjà qu’il doit servir à quelque chose. On n’imagine pas répondre : «  à rien », mais on est bien incapable de dire à quoi, car la réponse est simplement, cela dépend ! »


Mais dans l’absolu, on peut se poser trois questions : Quels savoirs ? Pour qui ? Pour quoi faire ?


C’est là que viennent les difficultés du savoir. Est-il distinct de la culture ? Des connaissances ? De la science ? On sait que le savoir est utile. C’est utile de savoir où se trouve la nourriture. C’est utile de connaître le trajet qui mène à la salle où se réunit le café-philo. Mais, le savoir est autre chose qu’une somme de savoirs particuliers. Alors, comment passe-t-on de l’utilité des savoirs en  particulier, à l’utilité du savoir lui-même ? C’est  pour cela qu’on ne peut que répondre : personne ne possède le savoir.


Deuxième difficulté. Le savoir particulier dépend du contexte, où se pose la cohérence du savoir particulier et objectif, car rien n’est utile en soi, si ce n’est pour atteindre un objectif. Par exemple la science des particules n’est d’aucune utilité pour comprendre le génocide rwandais. 


Troisième difficulté. Dans « à quoi sert le savoir ? », il faut savoir de quoi l’on parle. Le savoir est-il un loisir ou un métier ? Le savoir ne garantit pas d’obtenir un emploi ; son utilité est donc tout à fait partielle et relative. Le savoir ne sert pas de la même manière pour tous, et j’ajouterai que le savoir est très souvent déterminé, comme dans le domaine de la recherche, ce qui amène cette question : est-ce que le savant est heureux ? Il ne l’est pas forcément car il sait l’étendue de tout son non-savoir, cet « infini » dont parle Pascal.

 


    
(A SUIVRE)

 

 

Avec l'aimable autorisation des animateurs, 

extraits de restitution d'un débat du café-philo

http://cafes-philo.org/

avec lequel je garde un lien privilégié

en tant qu'un des artisans de sa création.


 

 

Publié dans culturels

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