Regards philosophiques (116)

Publié le par G-L. P. / J. C.

 

 

Article précédent :  Regards philosophiques (115)

 

 

Thème :

  « A quoi sert le savoir ? » 

 


8

  Débat :

 
 

►Je reprends ce que nous disait Montaigne : « La peste de l’homme, c’est l’opinion [= le désir] de savoir ». Sans valider ce mot « peste » pour le savoir, il est évident que le désir, le besoin de savoir est bien quelque chose qui hante l’homme depuis toujours. C’est ce que les Grecs ont nommé métaphysique : qu’est-ce qui se passe là-haut dans le ciel, au-delà de la terre, d’où vient l’homme, qu’est-ce qui se passe après la mort ? La nature de l’homme ayant horreur du vide, la plupart des hommes ne pouvaient vivre sans savoir; cela entraînait (et entraîne encore) des angoisses existentielles, la réponse était les divinités, les dieux… Les multiple religions et sectes ont délivré leur savoir ; cela a pu aider, voire être indispensable pour structurer des sociétés, et cela a donné du pouvoir : du pouvoir intemporel, qui a pu très longtemps monopoliser les savoirs, et du pouvoir temporel pour la politique. Puis est venu le savoir scientifique…


► Je crois que l’homme a plus le besoin de comprendre que de savoir


► Au-delà des savoirs que nous n’avons pas évoqués, il y a celui qui est le mieux partagé, c’est le savoir-faire, savoir acquis, transmis, sans cesse amélioré.

Dans l’ouvrage déjà cité, «  A quoi sert le savoir ? », j’ai retenu ce beau texte : « « Les gestes des femmes qui savaient laver et plier les draps, vider un poisson et peler les légumes, faire manger et soigner les enfants : le savoir dans ma mémoires concrétise d’abord dans tous ces gestes qui perpétuent un savoir faire, qui sont la mémoire vivante des tâtonnements et des perfectionnements de plusieurs générations. Ils représentent la transmission de ce qui aide à vivre. Ils assurent la continuité de l’espèce. Le savoir, c’est ensuite la connaissance du monde qui nous entoure, les outils qui le mesurent et qui l’adaptent à nos besoins, les repères qui nous aident à nous y retrouver…. [….]  Parmi les connaissances traditionnelles du quotidien, il y avait les livres de cuisine et dans ces vieux livres passés de mains en mains aux charnières fatiguées et aux pages jaunies, parfois détachées, il y avait des notes manuscrites dans les marges, de génération en génération, pour nuancer l’imprimer, pour le compléter et l’adapter aux situations particulières… (Michel Delon. A quoi sert le savoir ? Pages 123/124. PUF)


► Apprendre, c’est aussi le plaisir de la découverte, mais il y a une différence entre savoir ou apprendre et comprendre. On peut savoir parfaitement restituer des choses que l’on ne comprend pas. Le titre du livre de Maud Mannoni, De la passion de l’être à la « folie » de savoir, est à cet égard éloquent. Apprendre, savoir, ça va mais comprendre peut être une folie.
De même, en exergue de son livre publié en 1980 Le tabouret de Piotr, Jean Kéhayan dit : « Toute ma vie, j’ai menti [...], mais c’est maintenant que je le vois. » Quand tout un pan de savoir s’effondre, cela peut être douloureux et perturbant. On réalise alors, une fois les certitudes mises en doute, que le savoir est relatif. Il faut alors du courage pour réinvestir chaque fois un autre domaine de connaissance, quand on est allé au bout d’une logique.


► En réponse à la question initiale, « A quoi sert le savoir ? », le premier mot qui me vient, c’est « pouvoir ». C’est-à-dire que le savoir a souvent servi à asseoir le pouvoir. Il y a même celui qui fait semblant de savoir pour avoir du pouvoir. Celui qui use du savoir comme pouvoir ne partage pas son savoir.

Je me suis aussi demandé : Et moi ? Qu’est-ce que je sais ? Je n’arrivais pas à répondre à cette question, parce que le savoir est complètement relatif et souvent à court terme. Même s’il y a quelque chose que je sais, souvent, c’est technique ; c’est plus un savoir-faire. Par exemple, je sais tricoter ; cela, je le sais !

Le fait que le savoir soit relatif aide justement ceux qui prétendent savoir, comme pour les déchets nucléaires, alors qu’on sait qu’ils sont là pour des siècles, et qu’on n’a pas de solution, ceux « qui savent » vous répondent, « mais dans cinquante ans on saura comment s’en débarrasser ».
Le savoir peut aussi guérir, comme en psychanalyse, où le thérapeute fait revenir des savoirs enfouis ou refoulés dans l’inconscient  et qui sont source de mal-être.
Enfin, le savoir sert à la transmission. Bien sûr il y a ceux qui se bombardent transmetteurs, mais on a toujours besoin d’un vecteur, d’un maître, de quelqu’un qui sait avant vous.


► Je reviens sur la question qui me semble la plus importante dans le débat : à qui servent les savoirs ? Pourquoi ? Parce que si les savoirs, comme cela a été dit, sont utiles, c’est qu’ils sont utiles à quelqu’un, pour quelqu’un. Nous avons quasiment tous les jours à donner notre opinion sur des questions que traitent les scientifiques et sans avoir la faculté, comme les scientifiques, de traiter cette question. Par exemple, nous avons à nous prononcer sur la légitimité des OGM. Le débat, pour ou contre les OGM est un débat d’opinion. Comment donner son opinion ? Comment se situer dans ce débat, quand on n’a pas d’argument scientifique ?
Je pense qu’on peut se situer dans ce débat en posant la question de savoir à qui servent les savoirs qui permettent de fabriquer des OGM. Je pense qu’il est légitime de se poser cette question que Nietzsche nous a enseigné à nous poser : qui parle  dans chacun de ces partis-pris pour ou contre les OGM ?

Pour le dire comme Michel Foucault : « Le savoir est un pouvoir. » Quel pouvoir oriente la recherche du savoir ? Un philosophe belge, Gilbert Hottois, dans son ouvrage publié en 2001 De la Renaissance à la Postmodernité. Une histoire de la philosophie moderne et contemporaine, introduit  le terme de techno-science pour argumenter la thèse selon laquelle le savoir scientifique est d’intention désintéressée. Le savoir scientifique, ou pour la recherche scientifique, c’est le savoir pour le savoir ; telle est l’intention. Mais de fait, la recherche de la science contemporaine répond bien souvent, voire même trop souvent à la logique du savoir-faire. Pourquoi ? Parce que les projets de recherche sont financés, liant les scientifiques aux financements de ces projets, et que ces financements, qu’ils soient publics ou privés, orientent ladite recherche. Ainsi, ceux qui dans ce cas précis sont les plus engagés à défendre les OGM, sont tout simplement ceux qui ont déjà déposé des brevets avec des entreprises de biotechnologie,  comme Monsanto, par exemple !

Donc, revenant à cette question « à qui servent les savoirs ? », si on pose la question ainsi, cela permet de se faire une opinion quand on n’a pas la capacité d’argumenter scientifiquement. C’est déjà un pas vers la connaissance, c’est déjà pouvoir avancer une opinion qui répond à cette question, si je suis pour les OGM ou si je suis contre les OGM, c’est parce que je me suis posé la question de savoir à qui ça profite.

 

    
(A SUIVRE)

 

 

Avec l'aimable autorisation des animateurs, 

extraits de restitution d'un débat du café-philo

http://cafes-philo.org/

avec lequel je garde un lien privilégié

en tant qu'un des artisans de sa création.


 

 

Publié dans culturels

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article