Regards philosophiques (128)

Publié le par G-L. P. / J. C.

 

 

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Thème :

  « L'argent mène-t-il le monde ? » 

 


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  Débat :


Je vais parler de deux livres que j’ai lu récemment, et qui parlent de ce problème d’argent. Le premier  livre : « Les juifs, le monde et l’argent », est une analyse historique  de l’évolution de la monnaie. Il dit entre autre, que le capitalisme s’est développé, premièrement, aux USA où il y avait des sommes d’argent importantes, des banques juives qui ont investi dans l’industrie, notamment dans le chemin de fer, dans le cinéma, et d’autre d’autres industries. Et ces banques se sont fait racheter par des banques protestantes.


Et là, j’enchaîne avec le deuxième livre : « L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme » (de Max Weber), sur l’importance, quand on parle de l’argent et donc du capitalisme, qui, pour moi, est le symbole même de l’argent. Ce qui m’a frappée particulièrement c’est cette éthique qui au fil du temps a disparu.


Maintenant le profit est roi ! On est dans la perte des valeurs, morales et humaines au profit des accumulations matérielles. L’argent n’est plus associé à l’éthique de son utilisation, et il s’érige parfois au dessus des lois. On paie pour obtenir des avantages, on paie une caution pour une liberté, des diplômes dans certaines écoles privées, de l’ersatz d’amour, ou de sexe.
Enfin, tout se vend ! Tout s’achète !


Ce qu’on y perd, c’est de l’humanité, la morale, le partage, les échanges, les solidarités, les libertés, l’égalité et la fraternité, l’empathie, la notion de service, une certaine idée de l’homme au-delà du consommateur, et aussi une certaine spiritualité.

J’ai vu récemment le film sur Hannah Arendt (de Margarethe von Trotta) qui nous dit, en substance, que les Lumières en Allemagne pouvaient être à l’origine des totalitarismes du milieu du XXème siècle. Les Lumières ont prôné le primat de la raison ancrée à un certain « ordre des choses », puis on est arrivé à « une raison raisonnante », et peu à peu rationaliste. Puis de ce rationalisme et de son évolution, vers un matérialisme athée.


Des sciences qui se sont développées, est née la Révolution industrielle, avec l’importance donnée plus à la fabrication qu’à la pensée.


Dans un monde athée et matérialiste, où la pensée et la spiritualité étaient en recul, le barbarisme a pu s’installer en même temps que la pensée reculait, surtout dans un contexte de crise(1929).


On peut observer ce phénomène de nos jours : crise internationale, égal,  recul  de la pensée, égal, montée des extrêmes.

Le mal dans la philosophie viendrait donc du recul de la pensée et de la réflexion de chacun et de la soumission à une autorité arbitraire, à l’instar du nazi Eichmann, dont Hannah Arendt a analyser le procès.


Le mot argent, selon le dictionnaire historique de la langue française, date du 9ème siècle ; il est issu de argentum en latin qui désigne le métal, et a d’abord, et encore aujourd’hui, le sens  de métal blanc précieux. Le sens de « monnaie métallique » apparaît très tôt (en 1080), d’abord pour « monnaie d’argent » puis pour toute monnaie métallique. La notion attachée au mot deviendra de plus en plus abstraite à mesure que la monnaie se détachera des métaux précieux : assignats et billets  représentent le métal et  sont de l’argent. Cependant on a, dés l’ancien français, désigné le moyen de paiement en général par un mot d’abord concret (monnaie, deniers, pécune).


Le fait que ce soit argent plutôt que ces mots ou que  le mot « or » qui ait pris la valeur de moyen de paiement en français moderne, vient de l’histoire financière qui a donné à la monnaie d’argent la plus grande importance (quantitativement). Il vient aussi de l’usage de la langue donnant lieu à de nombreux syntagmes (argent frais, argent liquide argent comptant, argent de poche, manger son argent, faire de l’argent de quelque chose, prendre pour argent comptant, jeter l’argent à poignées, être à court d’argent, en avoir pour son argent, faire de l’argent: en gagner, bourreau d’argent: prodigue, être cousu d’argent  très riche... En fin le mot argent est l’un des substantifs qui a le plus grand nombre de synonymes argotiques et familiers (blé, fric, flouze, pèze...).


Tous ces usages du mot argent sont apparus entre le 16ème et le 19ème siècle, et l’histoire financière, comme l’histoire de ces  mots de la langue française est l’histoire, en France, du passage du mode de production féodal au mode de production capitaliste.


Si je fais cette lecture du dictionnaire d’Alain Rey, selon laquelle l’argent est le moteur de l’histoire humaine du 16ème siècle  à nos jours, c’est à dire dans la période de mise en place du système capitaliste, c’est aussi parce que  Marx m’a enseigné que la monnaie est devenue l’équivalent général de toute marchandise, là où, et lorsque le marché a remplacé toutes les formes d’échange (troc, potlatch dans les sociétés amérindiennes, don, et contre don dans les sociétés dites primitives, sacrifices aux dieux dans les sociétés polythéistes, cadeaux de Noël (dans les sociétés monothéistes de tradition chrétienne..). L’argent est devenu une valeur d’échange quand il a perdu sa valeur d’usage. Et alors règne dans toutes les sociétés à mode de production capitaliste, ce que Marx nomme « le monothéisme de l’argent »  (Contribution à la critique de l’économie politique 1859). Il faudrait, bien sûr, avoir le point de vue d’historiens pour vérifier en quelque sorte le bien fondé de cette thèse. Mais nous  faisons l’expérience chaque jour de la domination, dans notre type de société, de la religion de l’argent.


Un sociologue, Max Weber, a écrit un ouvrage (déjà cité) « L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme » pour montrer que le capitalisme n’est pas seulement lié à la logique du profit et à l’exploitation de l’être humain, mais qu’il est accumulation du capital  en vue d’une organisation rationnelle du travail, et qu’à l’origine il est lié à l’éthique protestante, puritaine, qui condamne la consommation et la jouissance, et privilégie du même coup le réinvestissement des produits du travail. Et cela jusqu’à  l’excès. Certains (des historiens et le journaliste Jean François Kahn) parlent du « totalitarisme de l’argent »  pour la période contemporaine. Un seul exemple anecdotique mais combien significatif : ils sont de plus en plus nombreux les internautes qui revendent en ligne leurs cadeaux de Noël.


Le totalitarisme de l’argent nous en faisons l’expérience aujourd’hui : la crise financière mène le monde au sens propre des termes et conduit les peuples à la catastrophe, à la misère en-deçà de la pauvreté.  C’est ce que Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot analysent dans un petit ouvrage : « L’argent sans foi ni loi » et suggèrent que l’argent redevienne ce qu’il n’aurait jamais du cesser d’être, un bien public. Il y a eu des tentatives utopiques de sociétés où l’argent n’appartient à personne, où il est un bien public : les kibboutz au début de leur construction, des communautés sans hiérarchie, des sociétés sans État. A nous de voir comment s’inspirer de ces expériences sociales pour que le moteur de notre histoire ne soit plus l’argent.
C’est peut être cela le sens de « l’humain d’abord »  ou  de ses dérivés « l’amour du prochain » ou  « la reconnaissance  de l’autre » qui doivent, selon moi « mener le monde ».

 

 

 

(A SUIVRE)

 

 

Avec l'aimable autorisation des animateurs, 

extraits de restitution d'un débat du café-philo

http://cafes-philo.org/

avec lequel je garde un lien privilégié

en tant qu'un des artisans de sa création.


 

 

Publié dans culturels

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