Regards philosophiques (14)
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« Culture pour tous, au-delà des apparences ? » (5)
Pour moi, la culture, c’est le moyen de connaître, découvrir le monde, de connaître les autres par leurs cultures.
On a dit que la culture favorisait la communication, mais, dans le film, la concierge s’enferme, s’isole dans son monde de livres.
On a parlé de la médiathèque qui a vocation d’attirer tous les publics. C’est aussi la création de partenariats, avec la Maison du conte, avec les écoles, la petite enfance et tous les acteurs sociaux et culturels de la ville. Nous voyons chaque jour se côtoyer dans la médiathèque des étudiants, des personnes âgées, des chômeurs, ... C’est un lieu de rencontre qui participe au « vivre ensemble » ; on est à la confluence du social, de l’éducatif, du culturel.
Si la concierge du film a tous ces livres chez elle, c’est qu’une bibliothécaire les lui a recommandés, selon le livre à l’origine du film. Au départ, elle dit ne pas avoir beaucoup d’éducation ; c’est une autodidacte. Ce qui pose la question : peut-on acquérir la culture tout(e) seul(e) ? N’est-ce pas là où les passeurs, comme la médiathèque, sont indispensables ?
On peut penser que la concierge est enfermée dans sa culture, mais elle est en même temps très ouverte au monde, aux autres. On a des indices dès les premières images en voyant comment elle est attentive à tout ce qui se passe autour d’elle. Elle s’intéresse au clochard du coin, elle détecte autre chose chez la petite fille, puis c’est avec cet étranger. La lecture c’est un dialogue avec le monde. En fait, elle jouait un rôle, « être la concierge », correspondre exactement à ce que les autres attendaient qu’elle soit.
Ça fait trente ans que je travaille dans ce lieu, le théâtre André Malraux, et j’ai l’impression que je ne sais toujours pas répondre précisément à « qu’est-ce que la culture pour tous ? ». On a eu une grande utopie culturelle et maintenant, parfois, quand on regarde en arrière, qu’on mesure, comme le fait l’observatoire de la culture, on voit qu’il y a moins de gens qui fréquentent les lieux de culture, à moins que cela ne se déplace vers le stade de France ! Il y a une chaîne culturelle qui est de l’ordre de la transmission ; si cette transmission est rompue, on peut avoir tous les outils du monde, il ne se passera rien. La culture, culture – transmission, est de l’ordre du « bouche à bouche » ; c’est du domaine de l’intime. S’il y a une rupture de transmission par la parole, rien ne passe plus. Ce qu’on essaie de faire en tant qu’acteurs culturels, c’est une modeste contribution pour réparer parfois quelques fractures. Si on n’apprend pas à un enfant la langue d’origine du pays de ses parents, il y a une rupture. On s’aperçoit que si, à six ans, les enfants n’ont pas déjà une belle oralité, il leur manquera quelque chose par la suite. La culture c’est aussi connaître son histoire, celle de sa famille, c’est un lien générationnel, une transmission si simple parfois.
Dans le film, la rencontre entre la concierge et le nouvel habitant étranger se fait à partir d’une phrase qui leur fait se reconnaître dans leurs connaissances littéraires: - La concierge : « Toutes les familles heureuses se ressemblent. » - L’étranger : « Mais les familles malheureuses le sont chacune à leur façon » (citation tirée d’Anna Karénine de Léon Tolstoï). Est-ce qu’il n’est pas nécessaire d’avoir fait un certain nombre d’expériences douloureuses pour avoir vécu la culture comme une sortie d’expérience difficile, qui permet de trouver sa parole et sa propre relation à la culture édifiante. C’est le cas pour la concierge qui porte encore le traumatisme des malheurs de sa sœur aînée (ce qui n’est pas mentionné dans le film).
(A suivre)
extraits de restitution d'un débat du café-philo
http://cafephilo.over-blog.net/
avec lequel je garde un lien privilégié
en tant qu'un des artisans de sa création.