Regards philosophiques (19)

Publié le par G-L. P. / J. C.

 

 

Article précédent :  Regards philosophiques (18)  

 

Pourquoi raconter des histoires ? (5)

  I

 Pourquoi se raconter des histoires à soi-même ? Ça peut être par économie de souffrance, pour réparer. Quand on a vécu un certain nombre de choses dans l’expérience, on est obligé de se les raconter de toutes les façons possibles pour les rendre acceptables, viables, pour les rendre belles éventuellement, donc il y a une idée de réparer.

Il y a plusieurs sortes d’histoires : les histoires dites vraies, concrètes, descriptives, où on essaie d’être au plus près de la réalité : c’est un témoignage. Il y a les récits mythiques, tel celui d’Œdipe bien connu, les mythes étant utiles pour l’identification du sujet. Puis, il y a les récits imaginaires, dans l’invention totale ; je trouve ça toujours très beau, mais j’ai du mal avec ces récits, car je ne sais pas où « se trouve » celui qui raconte ; il nous raconte une histoire à sa manière, mais on ne sait pas toujours où il nous touche.

 

Les histoires sont importantes dans une famille. J’avais une grand-mère qui me racontait ce qu’on se racontait de grand-mère en grand-mère en remontant jusqu’à l’Inquisition, la fuite de l’Espagne... Et moi, j’écoutais : c’était plus beau, plus passionnant que des histoires avec des fées. Peut-être qu’avec le temps ça s’était embelli ou dramatisé, mais cela faisait « passage » de génération en génération.

Maintenant je suis grand-mère, je raconte l’histoire, cette histoire, à laquelle j’ajoute mon histoire… On avait demandé à une petite fille : est-ce que c’est important d’apprendre à lire ? – Bien sûr, avait dit la petite fille, sinon comment on pourrait lire des histoires à nos enfants plus tard…

 

Se raconter, raconter aux proches, raconter d’une manière générale, n’est-ce pas pour éviter qu’on nous raconte des histoires ? Récemment, ici, évoquant le « storytelling », un sociologue nous expliquait que raconter, narrer sa vie d’une manière réelle ou fictive, fait contrepoids au discours politique, lequel est truffé de récits. On crée des histoires même dans le discours économique. Plus on va ne pas se raconter, plus on va être sujets à capter ces histoires qu’on nous construit pour nous emmener là où on ne veut pas aller. Il faut pour cela que le conteur reprenne toute sa place. Une histoire illustre le sujet : Dans une tribu indienne un représentant en télévision dépose un téléviseur chez une famille et l’allume devant les spectateurs, puis il s’en va. Il revient huit jours plus tard, il trouve le téléviseur rangé sous une couverture. – Alors ! Ça ne vous a pas intéressé ?- Ce n’est pas ça, c’est que la télévision, elle nous parle du monde et que notre conteur à nous, il nous parle de nous.                         

 

Dans tout ce que j’ai entendu jusque là je retiens deux termes : délivrer et dialoguer. On peut être délivré d’une prison en dialoguant. Pour moi, se raconter est un acte solitaire, tandis que raconter est un acte collectif. J’ai de l’admiration pour les conteurs. Ayant été élevée à la campagne sans télévision ni radio, j’ai connu ce temps ou l’on se racontait des histoires en famille.

 

 

(A suivre)

 

Avec l'aimable autorisation des animateurs, 

extraits de restitution d'un débat du café-philo

http://cafephilo.over-blog.net/

avec lequel je garde un lien privilégié

en tant qu'un des artisans de sa création.


 

Publié dans culturels

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article