Regards philosophiques (22)
Article précédent : Regards philosophiques (21)
Pourquoi raconter des histoires ? (8)
Pour conter des histoires, dans certains pays ou dans certaines régions, comme en Bretagne, on parle de « mensonges ». C’est des formulettes d’introduction qui signalent que ce qui va être raconté, ce sont des mensonges : « Plus je vous en dirai, plus je vous mentirai ; je ne suis point payé pour vous dire la vérité ». Au Maghreb, au Moyen-Orient, le conteur commence avec cette phrase : « Au nom de Dieu, je commence à mentir, j’ai vu une fourmi allaiter un lapin… ». Ces formules créent une rupture par rapport aux autres modes d’échange verbaux ; elles signalent que le conte se passe sur autre scène, dans un univers imaginaire. Le conte est un mensonge qui permet de dire beaucoup de vérités.
Pourquoi raconter des histoires ? Cela amène aussi la question : Pourquoi raconter des mensonges, mentir, affabuler ? Est-ce pour se protéger ?
Raconter ou conter des histoires, c’est introduire une parenthèse dans la vie courante, c’est à dire que nous allons parler d’un monde où tout est possible. Le plus faible, le plus malheureux des enfants peut être un prince, un héros. Dans ce moment où beaucoup de choses sont déterminées par la naissance, le milieu social..., il peut y avoir là un message d’espoir, une chance. Il y a des récits qui se situent entre Ciel et Terre, qui nous font complice… « Je vais t’en raconter une bien bonne… ».
Pour le mensonge et la vérité, on vit des âges différents ; ce qui a été vérité en un temps, peut devenir mensonge et inversement. Picasso avait peint une femme (Gertrude Stein), et, quand ils ont vu le portrait, les gens disaient : - Cela ne lui ressemble pas ! - Je vous assure, répondit Picasso, que dans vingt ans elle sera comme ça !
Quelle est la surface qu’on donne au mot histoire ? Que met-on derrière ce mot ? Conte, situation de compromission, contournement de la vérité ? Pour quel objectif ? Quand on raconte des histoires aux enfants dès le berceau, cela construit l’enfant et lui donne l’idée ensuite d’apprendre et de lire, et qu’on lui raconte encore des histoires. Une étude nous dit que 53% des mamans racontent des histoires à leurs enfants, contre 37% des pères. Quant à mon histoire, elle s’enrichit chaque jour ; elle fait même se déplacer la vérité, mais il reste le fond. En fonction de l’époque, on lui donne un autre sens sans volonté de tronquer, de mentir.
Le conteur, Abbi : Nous avons accueilli il y a peu ici à la Maison du conte, dans notre opération « Grand dire, pour grandir », un psycholinguiste colombien, Evelio Cabrero-Parra, qui nous expliquait comment le nouveau-né, dans ses deux premières années, au moment où il commence à prendre conscience de la parole par l’écoute d’abord, par le son, va appréhender le monde, le comprendre, le connaître par le fait de le nommer, et la parole va devenir son acte fondateur, son acte sonore par le fait de lier une écoute et une vision… Tout à coup, l’enfant prononce une parole : l’enfant est dans la situation du créateur, il fait le monde, il recrée le monde. Chaque nouveau-né recrée le monde dans l’acte de parole. Alors, au début, c’est une onomatopée, puis deux, puis un mot, et, petit à petit, la notion de temps inscrit la notion de récit, ça veut dire que tout à coup le nouveau-né accède au concept, puis à la phrase, au récit.
(A suivre)
extraits de restitution d'un débat du café-philo
http://cafephilo.over-blog.net/
avec lequel je garde un lien privilégié
en tant qu'un des artisans de sa création.