Regards philosophiques (24)

Publié le par G-L. P. / J. C.

 

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Pourquoi raconter des histoires ?  

 

Ce conte a été racontée devant le Conseil exécutif de l’Unesco 

à propos du conflit Israélo-palestinien pour faire prendre conscience

à chacun des risques, des dangers d’une telle situation.


 


Conte d’Amadou Hampâté Bâ : Il n’y a pas de petite querelle.

 

 Il y avait un homme, un sage suffisamment connu pour être invité à toutes les grandes funérailles importantes dans son pays. Et, ce jour-là, il doit quitter sa maison. Or, sa vieille mère est malade. Il n’aime pas partir de la maison en laissant sa mère malade, néanmoins il doit participer à la cérémonie de funérailles, et donc il appelle son chien et lui dit : - Chien, ma mère est malade, je dois aller, à deux jours de marche, au village voisin m’occuper de funérailles. Tu vas rester devant la porte, et tu vas t’arranger à ce qu’il ne passe rien de mal dans ma maison, dans ma cour, et pour ma mère. Tu m’as compris, chien ! Et le chien a compris. Il s’installe devant la porte et ne bouge plus. L’homme quitte sa maison, sa cour. Et le chien resté là observe tout ce qui se passe autour de lui, puis…il entend un bruit qui ne lui est pas familier. Il voit de loin  la chambre de la mère qui est malade, celle-ci est allongée sur un lit, une moustiquaire autour. Et voilà qu’au plafond, au-dessus de la moustiquaire,  il y a deux lézards qui ont décidé de se disputer, là. Et le chien qui est assis ne peut pas bouger, son maître lui a dit – « Bouge-pas de là ! Surveille ! » Donc, il appelle le coq qui passe par là : - Hé ! Le coq ! Tu ne peux pas s’il te plaît aller dans la chambre arranger cette querelle entre les deux lézards ? Ça va déranger la mère qui est malade. – Quoi ! Répond le coq ! Toi, le chien, tu voudrais me demander à moi, le coq, avec toutes les poules dont j’ai à m’occuper, tu voudrais que je descende de mon piédestal pour aller m’occuper de cette petite querelle de lézards, mais tu te moques de moi, adresse-toi à quelqu’un d’autre, ou va régler l’affaire toi-même ! - Je ne peux pas, dit le chien, le maître m’a demandé de rester là. Et le coq disparait.

 

Le chien attend, les lézards s’excitent, ça fait beaucoup de bruit, le chien a peur. Il y le bouc  qui passe par là. Eh ! Le bouc !  Tu  ne veux pas s’il te plait aller dans la chambre et arrêter la querelle qu’il y a entre ces deux lézards ? Ils sont au-dessus du lit de la mère qui est malade. Le bouc, avec sa barbe blanche, lui répond : Regarde-moi bien, le chien ! Tu voudrais que moi le bouc, qui m’échine au destin du monde avec toutes ces chèvres dont j’ai la responsabilité, que j’aille m’occuper d’une petite querelle de lézards ? Tu sais, une querelle de lézards, ça n’a jamais fait de mal à personne, ou va régler la querelle toi-même ! Je ne peux pas dit le chien, le maître m’a dit de ne pas bouger. Et le bouc s’en va !

 

Le chien attend, la querelle s’excite, même la moustiquaire tremble, le chien a peur. Passe le bœuf. – Le bœuf ! Je t’en prie, fais quelque chose, va régler la  querelle de ces deux lézards. S’ils tombent sur la moustiquaire, un drame peut arriver. Le bœuf lui répond : - Calme-toi le chien ! C’est toi qui fais la garde. Moi je suis important, je suis gros, je suis l’animal le plus important de la cour, le temps que je traverse la querelle sera terminée. Alors ! Quelle importance ? Et le bœuf s’en va.

La querelle s’excite, et le chien aussi. Le cheval passe par là. – Cheval ! Tu ne peux pas faire quelque chose pour arrêter cette querelle des deux lézards dans la chambre de la mère ? Le cheval lui répond : - Moi, un pur sang, qui n'est fait que pour être monté par le maître, tu voudrais que je m’abaisse à aller régler une petite querelle de lézards, mais il n’en est pas question ! Et il s’en va !

Et à ce moment là, les lézards se disputent tellement qu’ils tombent, rebondissent sur la moustiquaire, font tomber la lampe à pétrole qui enflamme la moustiquaire, qui brûle la chambre, et la vieille avec.

Toute la cour se précipite. Mon Dieu ! Quel drame ! Ils prennent la vieille ; elle est brûlée de partout, et aussitôt les questions fusent. Que faire quand une vieille est brûlée ? Vite du sang de coq ! On attrape le coq, on lui coupe la tête, on arrose les brûlures. Le coq juste avant de mourir s’était penché vers le chien pour lui dire : - Tu avais raison, il n’y a pas de petite querelle !

Et la vieille meurt. Immédiatement il faut aller chercher le maître qui est à deux jours  de marche. On prend le plus jeune des garçons, on lui donne une cravache, on le met sur le cheval, on frappe le cheval, et on lui dit : tu vas chercher le maître. Et le garçon tellement heureux d’être sur le dos du pur sang, le fouette, et le fouette ; le cheval arrive en sueur au village, la langue pendante. Le maître quand il entend que sa mère est morte, saute sur le dos du cheval, met le fils en croupe, il cravache le cheval qui galope, qui galope, et lorsqu’ils arrivent le cheval est exténué, les quatre pattes écartées ; il meurt. Et juste avant de mourir, il se penche vers le chien et lui dit : - Tu avais raison, il n’y a pas de petite querelle !

 

A ce moment, on fait les funérailles, et quand on a creusé la tombe, pour que l’âme de la vieille puisse accéder à l’au-delà il faut l’arroser avec du sang d’un bouc. Quant à la chair du bouc, elle est partagée entre ceux qui sont là pour les funérailles.

 

Quarante jours plus tard, pour que l’âme de la mère s’élève et aille rejoindre les ancêtres, il faut inviter tout le village à un grand festin, et là, on mange le bœuf ! Comme l’avait fait le bouc avant de mourir, le bœuf s’était penché vers le chien pour lui dire : - Tu avais raison, il n’y a pas de petite querelle.

Le chien, qui n’a pas bougé, est toujours là, on lui a apporté des os de poulet, de bouc, des os de cheval, de la viande de bœuf, et il en fut ravi, et bien récompensé.

 

 

 

Publié dans culturels

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