Regards philosophiques (30)
Article précédent : Regards philosophiques (29)
Thème : « Que nous enseigne la mer ? »
6
/ La mer ? Une méditation tonique 1…
L’arrivée sur une plage suscite toujours dans notre esprit une impression unique et un mélange de timidité et d’excitation. Se dévêtir au-dehors, sentir l’air sur notre peau ; prendre place devant un spectacle fabuleux sans rien devoir à personne ; s’inquiéter, enfin, de l’orientation du vent comme si notre vie en dépendait.
Prendre un bain ne relève pas alors de la performance. Nous n’avons rien à prouver. Seulement à éprouver.
Le bain libère nos énergies sans énervement, ni tension ; il nous rassemble, nous recentre : même violente, l’eau engendre une fatigue saine et sereine. La vie qui s’écoule est incomparable ; sur la plage, nous sommes ailleurs.
Le va-et-vient des vagues invite au cheminement de la pensée, ainsi d’une « apparition disparaissante » chère au philosophe Vladimir Jankélévitch. La mer offre une fuite perpétuelle.
Ses scintillements, ses mirages, appartiennent à un mode différent, dangereux, attirant.
Nous suivons la course d’une voile blanche ; quelques instants plus tard sa trace est perdue. Notre voile a tourné comme une girouette : il est aussi impossible à notre attention de se fixer que de planter un clou dans l’eau. Notre pensée s’envole d’un reflet à l’autre, accompagne la danse des apparences, ajourne indéfiniment le commencement de la réflexion. On ne s’échappe pas de l’immensité des mers.
A quoi pensons-nous devant l’océan ? On l’ignore et c’est agréable. Toute conscience est conscience d’on ne sait quoi ! Notre pensée paresse au soleil. Elle ne revendique que le droit de se livrer aux chères vagues.
Notre pensée ressemble à un fluide subtil : « L’âme est un océan sous une peau », comme l’écrit Henri Michaux, et elle rêve de fuir en cavale avec la mer.
Mettre les voiles : du rivage commence un voyage à la verticale. Notre pensée débridée rompt les amarres de l’habitude des automatismes : elle quitte les sentiers balisés de la raison, les lieux communs incommodes.
Aux réflexes, elle va substituer une vraie réflexion à commencer pour se perdre. Suspension provisoire de notre faculté de penser ! Notre errance maritime pratique le vide par désolation.
Les choses, les êtres ? Leurs contours sont fondus. Le fracas du monde ? Une rumeur lointaine, un chant à peine audible ! La réalité ? Quelle réalité ? Le moi, le monde coïncident dans la même intermittence.
Une méditation tonique 2 : Le spectacle aquatique imprègne notre conscience comme des cercles qui se reproduisent les uns les autres ?
Liquéfiée, notre conscience se disperse comme les embruns au milieu de l’océan.
Il y a un instant, on ne savait plus que la pensée pensait et maintenant, on ne sait plus qui pense. Phénomène prodigieux où ce n’est plus moi qui porte ma pensée, mais les flots !
Avoir la mer en soi. N’est-ce pas cela que signifie Victor Hugo lorsqu’à Jersey, du haut du rocher, il devient peu à peu « un somnambule de la mer » ?
Comme remède à l’insomnie, Alain demandait à notre corps allongé de prendre la forme d’un liquide.
La mer essaie de formuler en nous une idée neuve, polie par nos soins, quelque chose qui nous appartient en propre, sur laquelle l’homme n’a pas encore posé la marque de sa connaissance, la trace de son savoir.
(A suivre)
extraits de restitution d'un débat du café-philo
http://cafephilo.over-blog.net/
avec lequel je garde un lien privilégié
en tant qu'un des artisans de sa création.