Regards philosophiques (31)
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Thème : « Que nous enseigne la mer ? »
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Dans « Entretiens au bord de la mer », Alain, en 1931, nous prie de regarder du côté de la mer :
L'ouest, point cardinal de la liberté et des causes perdues portera notre réflexion :
« A notre droite des blés mûrs,
A notre gauche, la mer sans moissons », comme Homère dit si bien.
Un jeu d'oppositions : la terre et la mer, le solide et le fluide, l'être et le non-être.
Survient un nuage, la mer s'assombrit, prend une couleur de nuit, selon Homère.
La conversation s'engage sur l'apparence, qui révèle tout et bien.
Une pensée de Hegel brossée en trois touches de lumière : « L'être ne peut nous apparaître mieux qu’il ne fait ».
Philosophant « les pinceaux à la main », la théorie de la substance, l'idéalisme kantien, celles de l'existence et de l'univers sont évoquées. C'est un dialogue difficile qui prend forme devant la mer.
Quel enseignement la mer prodigue-t-elle pour la conduite de notre vie?
Il faut d'abord considérer les récifs que l'homme chasse de lui-même et les écueils qui font obstacle à sa route.
Nos actions sont freinées par nos idées préfabriquées, paralysées par des pensées prêtes à servir, limitées par des concepts à découper selon les pointillés.
Nous prenons nos idées pour des lois, nous nous y accrochons comme à des bouées de sauvetage. Que nos abris ne deviennent pas nos tombeaux.
A terre, les choses donnent l'illusion d'être immuables : par exemple, à l'endroit où se trouvait une maison, la place est vide, des travaux vont être entrepris; en attendant, il n'y a plus rien. Et pourtant on la voit encore ! Nous en conservons l'idée alors qu'elle n'existe plus.
« Le monde que l'homme se construit le protège bien mais l'instruit mal », dit encore Alain.
Observons la mer en mouvement :
Il n'est pas celui d'une corde qui ondule ni d'une étoffe qui se déplie à l'horizontale.
L'eau, au contraire escalade le ciel puis s'écroule dans le vide.
En retombant les vagues communiquent leur énergie à de nouvelles vagues.
La mer brise les solides, les droites, les formes, car ici les formes nous assurent qu'elles ne sont point.
Il n'y a évidemment pas une vague à côté de l'autre; la mer ne cesse d'exprimer que les formes sont fausses.
Bien clairement, cette nature fluide refuse toutes nos idées; elle nous en refuse cette trompeuse image.
Le mouvement de la houle réside dans l'esprit qui le construit, dans l'œil du peintre qui la fixe sur la toile, dans celui du marin qui y règle sa manœuvre.
Il est donc aussi vain d'aller cueillir les idées dans les choses que de chercher l'équateur dans le ciel, comme on rechercherait une comète, conclut Alain.
Le bruit régulier des vagues à notre oreille est une synthèse de petites perceptions inconscientes, comme l'a expliqué Leibniz.
Pour entendre le bruit de la mer, dont on est frappé quand on est au rivage, explique le philosophe de la continuité, il faut bien qu'on entende les parties qui composent ce tout, c'est-à-dire celui de chaque vague, si petit qu'il soit, sinon cent mille petits bruits resteraient invisibles.
« Rien ne se fait d'un coup... La nature ne fait jamais de saut ».
En nous délivrant des vérités éternelles, des abstractions trompeuses, de nos illusions, l'océan nous ouvre le chemin de la liberté.
La pensée clarifiée, l'horizon sur la mer s'éclaircit.
(Fin de ce thème)
extraits de restitution d'un débat du café-philo
http://cafephilo.over-blog.net/
avec lequel je garde un lien privilégié
en tant qu'un des artisans de sa création.