Regards philosophiques (61)
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Thème :
« Faut-il continuer d’enseigner les classiques à l’école? »
Débat à la suite de la projection du film : « Nous, princesses de Clèves »
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(Suite du débat)
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En guise de conclusion :
Pour tenter d’apporter une réponse de plus à la question en débat, parmi les enseignants nous rencontrons deux orientations, deux positions:
La première, nous dit : Que nous prendrions en otage des jeunes issus de l’immigration, lesquels sont assez nombreux dans certaines écoles.
Que nous leur inculquerions de force nos valeurs, notre héritage culturel, tout un passé qui ne les concerne pas, que ce n’est pas leur histoire, que cela ne les aidera en rien à communiquer dans leur famille.
Que c’est une forme d’assimilation forcée, et que c’est là leur faire perdre un temps précieux qui pourrait être consacré à un enseignement plus pratique, plus utile pour trouver un emploi à l’issue des études.
La seconde, nous rappelle que tous les enfants ont droit au même enseignement, que le beau ne peut être réservé à une élite.
Que faire connaître des œuvres classiques (qui ne sont pas forcément d’auteurs français), c’est leur donner tous les outils non pas pour l’assimilation, mais pour l’intégration.
Que c’est justement aux jeunes des banlieues, ceux qui ne sont pas d’un milieu où la culture est en héritage, à ceux là qui sont prêts à être éblouis, surpris, charmés, à se sentir considérés, d’avoir accès au meilleur de l’enseignement.
Que ce travail d’éveil ne saurait faire l’objet de sélection des élèves.
Alors, mon sentiment est que l’on n’éduque pas des enfants pour qu’ils communiquent au mieux dans une communauté. Tous les immigrés que je connais me disent que s’ils ont choisi un pays pour émigrer, c’est un pays où ils veulent faire communauté ensemble et pas faire « des » communautés. Ce capital de culture contenu dans les classiques est un héritage, ce que Bourdieu appelait « le capital culturel », qui nous a été donné en partage. Allons-nous le jeter par-dessus bord, comme un poids de l’histoire inutile ?
Il n’est pas sûr que la lecture du roman « La princesse de Clèves » soulève systématiquement un grand enthousiasme. Cela semble aujourd’hui « précieux » ; cela s’apparenterait à ce que nous appelons aujourd’hui une littérature « people ». Il n’en reste pas moins que nous avons là un des premiers romans qui fait une étude assez poussée des personnages, ce que nous retrouverons dans les œuvres de Balzac avec la « Comédie humaine ».
Au-delà de la polémique autour du roman « La princesse de Clèves », qu’apporte aujourd’hui de connaître : Hélène, Iphigénie, Iseult, Phèdre, Chimène ou Emma Bovary, … ?
Nous avons toujours plaisir à entendre des expressions qui nous viennent de grandes œuvres :
« Rodrigue, as-tu du cœur ? », et c’est tout le drame cornélien du Cid.
Nous nous souvenons tous de Roland voulant briser son épée « Durandal » sur le rocher.
Nous aimons entendre parler de la « rossinante » et la « dulcinée », ou des moulins de don Quichotte.
Nous vibrons avec Racine dans ce texte d’une pathétique Phèdre qui tombe amoureuse de son beau-fils:
« Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue
Un trouble s’éleva dans mon âme éperdue.
Mes yeux ne voyaient plus, je ne pouvais parler ;
je sentis tout mon corps et transir et brûler/
je reconnus Vénus, et ses feux redoutables…
Ou encore Cyrano :
« Moi, Monsieur, si j’avais un tel nez
Il faudrait sur le champ que je me l’amputasse »
Ou le célèbre Tartuffe de Molière :
« Couvrez ce sein que je ne saurais voir
Par de pareils objets les âmes sont blessées
Et cela fait venir de coupables pensées »
Si l’on nous demandait quels sont les textes que nous rangeons parmi les classiques, quelques titres viennent l’esprit, mais vous en avez sûrement d’autres en tête, au-delà de cette courte liste :
L’Iliade et l’Odyssée – Homère
Gargantua – Rabelais
Œuvres - François Villon.
Don Quichotte – Cervantès
Le Cid – Corneille
Phèdre – Racine
La Fontaine
Shakespeare
Molière
Voltaire
Balzac
Victor Hugo
Jules Verne
Madame Bovary – Flaubert
Le rouge et le noir – Stendhal
Zola
Dostoïevski
Tolstoï
Hemingway
…
(Fin)
extraits de restitution d'un débat du café-philo
avec lequel je garde un lien privilégié
en tant qu'un des artisans de sa création.