Regards philosophiques (79)

Publié le par G-L. P. / J. C.

 

 

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Thème :

« Voir,

est-ce apprendre autrement ?» 

  

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Débat  :

 


/ La mémoire, comme nous l’avons dit, est structurée par un certain nombre d’images. Et cela m’amène à penser à ceux qui sont des visionnaires, qui voient au-delà de ce que voient les autres, et de là peuvent faire des prévisions à long terme. La vision, aussi bien du présent, que du passé, ou de l’avenir, fait partie intégrante de notre façon de fonctionner. Et je voudrais ajouter cette phrase de la chanson de Jean-Jacques Goldman Il me restera : « Quand on vit fort, on vit sans mémoire, mais elle prend des photos sans qu’on sache; ce sont des images flashes qui restent en mémoire.

 

/ On ne peut croire tout ce qu’on voit ! Et qu’est-ce que je vois ? Qu’est-ce qu’on me donne à voir ? Le regard et son interprétation peuvent être orientés, voire faire l’objet de manipulations ; et là on apprend ce qu’on a voulu qu’on apprenne. Vers 1960, un hiver très rude à Paris, on ramasse un SDF mort de froid dans la rue, des clochards font la queue pour recevoir des repas, des photos sont faites. Ces photos vont se retrouver dans le journal « La Pravda » en Tchécoslovaquie, qui titre : « Les habitants du monde capitaliste meurent de froid et de faim, déjà trente morts à Paris… » ; un ami qui vivait là-bas à cette époque, me disait que malgré la dureté du régime, nous pensions que nous avions de la chance. Il a fallu qu’un mur tombe pour qu’on apprenne et qu’on voie autrement.

 

/ Pour tenter de comprendre et d’apprendre, il faut observer, savoir observer. Il y a différentes façons d’observer, déjà il faut le vouloir, il faut un minimum de curiosité, et se dire que peut-être il y a autre chose derrière ce que je vois, de ce qui m’apparaît immédiatement. Dans cette observation, il y a celle qui consiste à se contenter de constater les faits, ou celle qui résulte de l’expérience, et là on intervient d’une manière active sur quelque chose qu’on peut modifier soi-même. C’est, par exemple, Newton, qui constate la chute d’une pomme, et il ne se demande pas comment elle tombe, mais pourquoi : ce sera la loi de la pesanteur.

Nous connaissons également l’observation provoquée, comme l’évoque Claude Bernard, qui est faite pour vérifier une hypothèse. Il y a donc, observer pour constater, et observer pour chercher à comprendre le pourquoi et le comment.

 

/ Nous avons beaucoup parlé de voir, mais apprendre mérite qu’on se pose la question : apprendre quoi, et comment ? Cela va au-delà des définitions scolaires. Pour la philosophie, c’est, peut-être, apprendre la vie.

 

/ Si on met des œillères aux individus dès l’enfance, ils apprendront sans chercher à voir plus loin que l’enseignement reçu : on n’apprend pas à voir autrement dans les madrasas (écoles coraniques)  où les enfants sont enfermés dans une pensée unique.

 

/ Grâce au regard de l’artiste et par son intermédiaire, nous voyons ce monde sous ses différents aspects, leurs yeux nous apprennent ce monde. Nous retrouvons là un thème philosophique, le regard différencié : « Vous avez certainement admiré ces paysages chinois dans lesquels l’on aperçoit quelque part un personnage de dimension minuscule. Pour l’amateur occidental dont l’œil est habitué à regarder des œuvres où les sujets sont représentés au premier plan, reléguant ainsi le paysage à l’arrière plan, ce personnage est complètement perdu, noyé dans le grand tout. Ce n’est pas ainsi que l’esprit chinois appréhende la chose. Le personnage dans le paysage est toujours judicieusement situé ; il est en train de contempler le paysage, de jouer de la cithare, ou de converser avec un ami. Mais au bout d’un moment, si l’on s’attarde sur lui, on ne manque pas de se mettre à sa place, et l’on se rend compte qu’il est le point pivot autour duquel le paysage s’organise et tourne. Mieux, c’est lui l’œil éveillé et le cœur battant du paysage. [...] Cette nature n’est plus une entité inerte et passive. Si l’homme la regarde, elle le regarde aussi. »  (François Cheng. Cinq méditations sur la beauté) 

 

 

/ Il y a le regard de l’artiste et le regard de celui qui voit l’œuvre ; comment regarde-t- on ? Le sujet, l’équilibre, les couleurs, les formes, la technique, l’émotion, les impressions transmises, le contexte historique, l’école de peinture, la fidélité de la représentation… Il y a trente-six-mille façons de regarder une œuvre d’art et il faut regarder les choses sous plusieurs angles différents pour mieux les appréhender. Et là, est-ce qu’il suffit de voir pour apprendre ? Je ne pense pas, sinon, je serais moins nulle en peinture.

 

/ On ne peut pas voir comme l’artiste ; il appréhende le monde autrement, avec sa propre subjectivité.

 

/ Depuis des années que je fais le même métier, je n’ai pas le sentiment d’avoir appris beaucoup, mais j’ai appris beaucoup sur la nature humaine. Dans ma tête, j’habite chez les « Bisounours » et donc souvent « je suis tombée de l’armoire ».

 

/ « De la vue naissent mille désirs, c’est dans l’œil, dit-on, que la gloutonnerie a son principe. »  (Abu Shakoun)

 

/ « Voir, c’est croire, mais sentir, c’est être sûr ». (Marquis de Sade)

 

 

 

(A SUIVRE)

 

 

Avec l'aimable autorisation des animateurs, 

extraits de restitution d'un débat du café-philo

http://cafes-philo.org/

avec lequel je garde un lien privilégié

en tant qu'un des artisans de sa création.


 

 

Publié dans culturels

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