Regards philosophiques (86)
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Thème :
« En quoi, et jusqu’où l’avenir
me concerne t- il ? »
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Débat :
► « A force de prévoir l’avenir, on nous le rend aussi fastidieux qu’un passé.» (Jean Rostand) Ainsi on parle beaucoup aux enfants du passé et pas assez de l’avenir. C’est-à-dire, trop des autres et pas assez d’eux-mêmes. Il faut déjà faire que les plus jeunes aient confiance en eux pour qu’ils puissent regarder l’avenir, et puis faire les choses avec les autres. Il faut déjà entrer dans une histoire personnelle : « L’homme n’est pas ancien comme le monde : il ne porte que son avenir. » (Paul Eluard) C’est vrai que notre trajet est très court ; le trajet c’est notre avenir, le reste ne nous appartient plus. Et puis, « Un beau jour, l’avenir s’appelle le passé. C’est alors qu’on se tourne et qu’on voit sa jeunesse » ; « l’avenir, c’est ce qui dépasse la main tendue… » (Ibid.)
► On peut se demander à quel moment l’homme à commencé à se poser cette question, à s’inquiéter pour l’avenir ? Dans « Le voyage de Bougainville » de Diderot, le vieux Tahitien accuse Bougainville de vouloir modifier l’avenir des peuples des îles. Nous ne voulons pas, dit-il de vos inutiles lumières : « Va dans ta contrée t’agiter, te tourmenter tant que tu voudras […], ne nous entête ni de besoins factices, ni de vertus chimériques. » Car la vie de ces peuples était une vie tranquille sans inquiétude de l’avenir, on vivait « dans l’instant présent », on apprenait à vivre comme les parents, on apprenait les mêmes coutumes pour le bien vivre ensemble. Cela nous montre que la modernité a initié ce souci, compte tenu des risques pour les périodes à venir ? Comment devant le meilleur et le pire des techno-sciences, des manipulations génétiques, entre autres, ne pas nourrir quelque inquiétude ? Il faut voir les risques en face ; c’est une question de vie ou de mort, celle d’une espèce, la nôtre, comme nous le disait déjà Hannah Arendt : « Si nous n’agissons pas à temps, les générations n’auront pas le temps d’agir du tout, elles seront prisonnières d’évolutions devenues incontrôlables. Demain, c’est peut-être trop tard, […] ; nous augmentons notre responsabilité vis-à-vis des générations futures ; il ne s’agit pas seulement, comme par le passé, d’un legs. Il y a absence d’éthique du futur, pour quelque chose qui nous est confié, qui est extrêmement fragile : la cité, la vie, la planète ».
Malgré tout, face à la question de ce soir, il est difficile de s’imaginer le monde de demain. En regard de la vitesse exponentielle du développement de certaines
technologies, quel monde en 2062 ? Quel monde du point de vue technologique, du point de vue politique, social, culturel ? Je voudrais être petite souris, ça m’intrigue ! Si nous
pouvions savoir, alors on pourrait mesurer si on a su préparer ce monde, sauvegarder le bon, ou, si l’on a transmis un monde pourri. Qu’est-ce qui aura été gagné ? Qu’est-ce qui aura été
perdu ?
►Quand j’ai eu dix huit ans, dès que j’ai pu, j’ai voté. Et puis je me suis demandé si c’était suffisant
pour agir sur l’avenir. Il faut à la limite se positionner, s’engager… Mais s’engager c’est se mettre dans un parti, et on peut à terme être déçu, se retrouver un peu, tel Don Quichotte, se
battant contre les moulins. J’ai eu parfois le sentiment que mon engagement pour l’avenir était plus pour travailler à l’avenir de quelques-uns…
D’autre part, il y a d’autres façons de penser à l’avenir. Si l’on réfléchit à l’avenir avec la pensée religieuse, l’avenir est écrit ; déjà chez les Grecs, les dieux ne pouvaient pas
échapper à leur destin ; qu’on aille voir n’importe quel oracle, on savait son avenir. Dans les religions du Livre, l’avenir a un terme, c’est l’Apocalypse.
► Si l’on aborde l’avenir avec un regard lié à une religion ou à une secte, on est dans le déterminisme, et la question de ce soir est en partie nulle et non avenue. Quant à l’Apocalypse, voir celle du calendrier Maya où nous aurions dû déjà avoir l’Apocalypse en l’an 1000.
extraits de restitution d'un débat du café-philo
avec lequel je garde un lien privilégié
en tant qu'un des artisans de sa création.