Regards philosophiques (89)
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Thème :
« Tolérance et laxisme sont-ils opposés
ou sont-ils opposables ? »
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Débat :
► A mon avis, tolérance et laxisme ne s’opposent pas, ils ne sont pas contraires, puisque le contraire de « laxiste » est : « sévère, rigoureux ». Dans le cas de la tolérance, c’est la personne qui réagit à une action extérieure, tandis que dans le laxisme la personne est directement acteur, c’est sa position, son choix. Tolérance et laxisme, c’est volonté ou manque de volonté. Dans les deux cas, ça peut déboucher sur des choses négatives.
► Le laxisme fut, nous disent les dictionnaires, une doctrine morale et philosophique tendant à supprimer les interdits et à concilier les éléments opposés. C’est, nous dit ce même dictionnaire (Le grand Robert de la langue française) une tendance marquée à la conciliation, à la tolérance excessive. Les contraires sont, soit : « purisme, rigorisme », soit : « indulgence, faiblesse ». C’est plus aujourd’hui synonyme de : « laisser-aller, négligence ». Quand une personne est taxée de laxisme, c’est un jugement négatif. Autrement dit, on ne peut faire confiance à une personne laxiste, on ne peut lui confier de responsabilités ; c’est à la limite quelqu’un qui peut s’avérer dangereux par négligence. On voit dans tous ces aspects comment la connotation de ce mot est devenue très négative, c’est même parfois pris au sens de lâcheté, manque de fermeté, faiblesse, pusillanimité, mollesse.
On pourrait dire que la tolérance fixe un cadre, délimite, et que le laxisme, lui ne fixe aucun cadre et se désintéresse totalement des conséquences des choix.
Entre rigueur, tolérance et laxisme, que choisir ? Nous savons que l’histoire est jalonnée de ces « pères la rigueur », de ceux qui ne badinent pas avec la vertu, ceux qui
ne transigent pas, lesquels au cours des siècles ont fait beaucoup de mal au nom du bien. Je prendrai trois exemples : Savonarole, Robespierre et plus près de nous les intégristes, dont
les Talibans.
Savonarole est une référence de l’intégrisme ; ce moine exalté est resté dans l’histoire pour le célèbre « bûcher des vanités », grand feu où étaient jetés des objets saisis chez
les habitants de Florence : des livres jugés immoraux, les beaux vêtements, les bijoux, les miroirs, les instruments de musique, les masques. A part la barbe, on voit là une saisissante
ressemblance avec les religieux intégristes comme les Talibans. Savonarole prolongeait ces bûchers initiés par un franciscain canonisé, Bernardin de Sienne, lequel prêchait contre les Juifs,
les homosexuels, les hérétiques, qui finissaient souvent sur un bûcher. C’était pour ces moines la révolte contre le laxisme, le pêché.
Parmi leurs successeurs, nous avons eu, par exemple, Robespierre qui voudra imposer la vertu républicaine par la Terreur. Puis, aujourd’hui, alors que nous sommes persuadés que l’homme a
atteint enfin un grand degré d’humanisme, de tolérance, nous avons comme en Iran un Ministère du tourisme et de la vertu, nous avons des intégristes dans les pays du Golfe qui refusent qu’une
femme conduise une voiture, nous avons des peuples qui pratiquent la lapidation, des Talibans qui interdisent la musique, qui enferment les femmes dans une sous-catégorie d’humains.
► Est-ce que nous ne sommes pas
laxistes au sens irresponsables, au sens d’un manque total de solidarité envers ces femmes martyrs, irresponsables et un peu lâches à la fois d’entretenir des relations diplomatiques et
commerciales avec ces pays. Mais pourra-t-on m’objecter, c’est les abandonner, c’est une autre forme de lâcheté, c’est une forme d’intolérance. Nous sommes pris entre deux feux, laisser-faire,
être en un sens laxistes ou être intolérants.
Nous trouverons toujours quelqu’un dont on pense qu’il n’est pas assez rigoureux dans tel ou tel domaine, alors nous le déconsidérons en lui attribuant ce terme « laxiste », et
dans d’autres situations où il est un peu plus rigoureux que nous, nous le considérerons comme « intolérant ». Cela se retrouve dans l’appréciation que nous avons d’éduquer les
enfants. Certains pensent que ces chéris ont le droit de tout faire, que, les contrarier, c’est les condamner à des thérapies quand ils seront adultes. Ils le font pour le bien des enfants, à
moins qu’ils ne soient laxistes par un manque total d’autorité, par une incapacité de gérer des enfants. Ceux-là peuvent être considérés comme laxistes. En revanche, pour eux, des enfants trop
encadrés, élevés dans une certaine discipline, cela relève de l’intolérance.
Au final, nous avons bien du mal à définir ces deux termes puisqu’ils dépendent souvent de jugements très arbitraires, très subjectifs, puisqu’ils sont liés aussi à nos jugements
affectifs.
extraits de restitution d'un débat du café-philo
avec lequel je garde un lien privilégié
en tant qu'un des artisans de sa création.