Regards philosophiques (90)
Article précédent : Regards philosophiques (89)
Thème :
« Tolérance et laxisme sont-ils opposés
ou sont-ils opposables ? »
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Débat :
► Nous avions fait le test, dans un débat antérieur sur ce sujet de tolérance, de demander quelles sont les choses que nous ne tolérons pas. Il y a eu beaucoup de choses énumérées. Au final, nous sommes pleins d’intolérances : racisme, sexisme ; « on ne peut pas tolérer l’intolérance ». Parfois tolérer peut être près du mépris, de la condescendance : Oui ! On tolère ! On veut bien ! Tandis que le laxisme, c’est un abandon. Le laxisme est plus méprisé, c’est un défaut.
► J’ai trouvé comme définition de laxisme : « excès de tolérance ». Comment un excès de quelque chose peut-il créer une opposition ? Effectivement, quand on
creuse un peu, ce sont deux concepts qui peuvent s’opposer ; ça dépend de comment on les appréhende. C’est-à-dire que la tolérance, au sens philosophique, n’est pas tout tolérer ;
c’est : « le droit de ne pas tolérer ce qui peut compromettre sa propre existence » (Bernard Bourgeois. La raison moderne et le droit philosophique. Editions Vrin,
2000).
Dans le cadre de la tolérance politique, religieuse, philosophique d’un Etat, toute sa tolérance le renforce ; c’est la marque d’un Etat fort. Quand on se penche un peu sur ce sujet du
laxisme, ça nous renvoie à la querelle des Jésuites et des Jansénistes. Cela nous rappelle aussi cette expression : « C’est un raisonnement de Jésuite », ou comment contourner
une question, une interdiction avec des raisonnements tordus, en cachant le laxisme derrière l’hypocrisie. C’est aussi faire un écran de fumée…
► Tolérer ce qu’on ne devrait pas tolérer est laxiste. Dans un ouvrage de Manuel Rivas « Los libros arden mal », il évoque un exemple, une histoire racontée en Espagne : « …tu te souviens de ce que faisaient les moines d’Oseira pendant le carême, alors qu’il était interdit de manger de la viande. Et bien, ils précipitaient les cochons dans la rivière, puis ils lançaient les filets pour les repêcher. Les paysans, qui n’avaient même pas le droit de renifler du lard sous peine d’excommunication, coururent se plaindre d’un tel abus auprès de l’abbé qui leur répondit : Voyons, mes fils, vous savez bien que ce que l’on capture avec un filet ne peut être que du poisson ». Au nom de nos convictions, d’un esprit de groupe, c’est tolérer contre toute raison, jusqu’à prendre le risque d’être considéré comme laxiste.
► Tolérer, quand on l’oppose à quelque chose, c’est à chaque fois pour celui qui tolère une forme de jugement. Alors que tolérer, cela peut être simplement une attitude qui consiste à admettre chez autrui une manière de penser, d’agir qui est différente de celle qu’on adopte soi-même. C’est compréhension et indulgence. Sans la tolérance, comment pourrait-on vivre ? C’est le fait de ne pas sanctionner ceux avec qui l’on n’est pas d’accord, ne pas les juger comme des hérétiques, comme des gens avec lesquels on ne peut pas parler. Le laxisme, aujourd’hui, est remplacé par la désinvolture. C’est quand plus personne n’écoute plus personne ; c’est fréquent, notamment chez ceux dont le métier est de communiquer.
► En dessin industriel, il existe une notion de tolérance. C’est-à-dire que, lors de la fabrication d’une pièce, une infime différence n’empêchera pas le matériel de fonctionner, avec un « seuil de tolérance ».Transposé à la société, si l’on dépasse une certaine tolérance, on tombe dans le laxisme, ça ne fonctionne plus. C’est peut-être entre tolérance et intolérable que se situe le laxisme.
► On attribue à Paul Claudel : « La tolérance, il y a des maisons pour cela ! ».
► Quelqu’un a ajouté : « Trop de tolérance, c’est le bordel ! »
► Est-ce qu’un des symboles de la tolérance, ce n’est pas « Les trois petits singes » ? C’est-à-dire : ne pas entendre – ne pas voir – ne rien dire. Ou, ne serait-ce pas : ne pas vouloir voir ce qui se passe autour de soi, dans ce monde – ne pas vouloir entendre, se faire sourd aux problèmes des autres, aux questions sociales – ne rien dire, ne pas se prononcer, ne pas choisir, ne pas voter ? Vu ainsi, n’est-ce pas l’image même du laxisme ?
► Si quelqu’un tient des propos que je désapprouve, je le laisse libre de ses opinions au nom de la tolérance. Si je suis tolérant, je dois accepter le pluralisme des opinions. Je peux à la rigueur dire que je ne partage pas son avis, sans chercher à entamer un débat contradictoire. Par contre, et c’est paradoxal, quelqu’un peut émettre une opinion qui est de l’incitation à la violence, à caractère raciste, incitation à la délation, etc. Là, je me sens obligé pour ne pas être taxé de laxiste, d’intervenir et de condamner ses propos, car l’adage bien connu nous dit : « Qui ne dit mot consent », autrement dit : « Votre silence tient lieu d’acceptation ».
extraits de restitution d'un débat du café-philo
avec lequel je garde un lien privilégié
en tant qu'un des artisans de sa création.