Regards philosophiques (99)
Article précédent : Regards philosophiques (98)
Thème :
« Pourquoi et comment
critiquer ? »
5
Débat :
►
Il est parfois difficile d’affirmer son goût. Si je dis : « Telle musique me casse les oreilles. », je peux avoir comme réponse : « Qu’est-ce que vous en savez, vous n’êtes pas musicien ? » Si je dis : « Telle peinture me laisse froid, indifférent. », je risque d’entendre : « Vous n’y connaissez rien, vous n’êtes pas peintre ! »
Nous avons beaucoup évoqué la critique dans le domaine de l’art. Il y a quelques années nous avons eu un débat autour du thème : « Faut-il être initié pour jouir de l’art ? ». Déjà nous avions évoqué cette notion du Béotien ou de l’initié. Dans un film, « Dialogue avec mon jardinier », un critique d’art est devant un tableau unicolore (tout noir) et il commente, en pataugeant dans le snobisme « intello » : « Il faut voir dans la couleur noire, toutes les couleurs de la palette du peintre…, le blanc et le non-blanc, etc. » Nous voyons là ce type de critique qui s’égare dans son vocabulaire, en fait à la limite de l’imposture. Il peut aussi y avoir un certain cynisme de la part de ceux qui ont « le goût sûr » et qui critiquent avec méchanceté celui qui n’a pas toutes les clefs culturelles pour apprécier totalement. Voir à ce sujet le film : « Le goût des autres ». Il y a, dans certains milieux, une intelligentsia de la culture, un diktat du savoir, de gens parfois imbus de leurs connaissances, ceux « qui savent », même s’ils ne savent pas. On a pu voir ainsi un intellectuel [Bernard-Henri Lévy] écrire un texte sur un philosophe du nom de Jean-Baptiste Botul, soi-disant auteur de « La vie sexuelle d’Emmanuel Kant » ; en fait, c’était un canular du journaliste Frédéric Pagès (situation critique !). Attention parfois au diktat du savoir. Il existe des jugements sains chez des gens culturellement sains.
►
La critique des œuvres d’art, comme pour un tableau, prend aujourd’hui en compte le prix. Le prix participe à la notoriété.
►
On a dit que critiquer est une liberté, mais pour cela il faut avoir l’esprit critique. Pour l’acquérir, il faut les rencontres, la lecture ; il faut chercher à s’informer. Cela se fait aussi grâce aux médias, sachant que souvent l’information est réservée à des experts, de là, leur critique peut-elle être considérée comme objective ? Il est intéressant pour cela de voir le film « Les nouveaux chiens de garde » (tiré de l’essai de Serge Halimi) ; le synopsis nous dit (Source : RMC.fr) : « Les médias se proclament contre-pouvoir. Pourtant, la grande majorité des journaux, des radios et des chaînes de télévision appartiennent à des groupes industriels ou financiers intimement liés au pouvoir. Au sein d’un périmètre idéologique minuscule se multiplient les informations prémâchées, les intervenants permanents, les notoriétés indues, les affrontements factices et les renvois d’ascenseur. En 1932, Paul Nizan publiait « Les chiens de garde » pour dénoncer les philosophes et les écrivains de son époque qui, sous couvert de neutralité intellectuelle, s’imposaient en gardiens de l’ordre établi. Aujourd’hui, les chiens de garde, ce sont ces journalistes, éditorialistes et experts médiatiques devenus évangélistes du marché et gardiens de l’ordre social. Sur le mode sardonique, « Les nouveaux chiens de garde » dressent l’état des lieux d’une presse volontiers oublieuse des valeurs de pluralisme, d’indépendance et d’objectivité qu’elle prétend incarner. Avec force et précision, le film pointe la menace croissante d’une information pervertie en marchandise. » Comment exercer notre critique face à ce maillage des experts qui ne savent pas mieux que des personnes qui prennent le temps de s’informer, de se documenter et de réfléchir ? Le film nous montre également les dîners du siècle « think tank » qui réunissent chaque dernier mercredi du mois, le gratin politico-médiatico-industriel français à l’hôtel Crillon à Paris. Un rendez-vous où journalistes et politiques « collusionnent ».
►
Nous voyons là une orchestration de la critique qui n’est que fausse critique, et qui nous abuse. Ceci n’empêche pas que, dans son fonctionnement, la critique est la confrontation du discours qui appelle l’échange. C’est quelque chose à dire dans une relation ; c’est un discours qui corrige l’autre discours ou qui le refuse ; c’est donc une nécessité humaine. La critique est un impératif, puisque c’est la recherche d’une vérité honnête. Ainsi, la critique est un éclairage du genre humain et c’est un moteur du lien social.
extraits de restitution d'un débat du café-philo
avec lequel je garde un lien privilégié
en tant qu'un des artisans de sa création.