Témoignages (18)

Publié le par L. S.

 

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Mes horizons étaient teintés de mauve

(2)

                                        Laurence S.

 

 

 

 

Six novembre 1922, je montre mon petit minois. Attendue patiemment par mes parents et toute la famille, me voilà enfin dans la pension de la « chaussée du bourg » à Lourdes.

Je viens d’arriver dans ce monde déjà lourd de deuils à porter. La rencontre de mes parents ne relevait pas du hasard, organisée par les familles qui les avaient soumis à se marier. En ce temps-là, les couples s’apprivoisaient avec le temps, leur amour cimenté par le quotidien. C’est ainsi qu’ils s’étaient aimés, maman disant qu’elle avait épousé « un bon parti » là où papa voyait un mariage de raison. Les liens d’amour se tissaient au fil du temps, les enfants finissant de consolider la famille. Papa Lucien, te voilà père à vingt-cinq ans. Fils de Pierre Salis, bon-papa aux cheveux blancs, dont les descendants venaient du Gers et de grand-mère, Marie, née Pène, petite femme effacée et discrète, qu’on observait en riant sous cape quand elle se mettait à priser, comme cela se faisait à l’époque. Elle était la  cousine germaine de Sainte Bernadette de par sa mère, Basile Castérot. Mon pauvre papa, toi, revenu de la guerre sans tes deux frères, morts au combat. D’abord Jean, né le 2 août 1890, mort en octobre 1914 à Erfurt en Allemagne, qui ne connut jamais sa fille Jeannette, ma très chère et tendre cousine de huit ans mon aînée. Puis Laurent, né le 11 janvier 1895, célibataire, qui n’est jamais revenu, mort en septembre 1916 à Aïtos, près de Florina en Macédoine. Laurent, ton frère, dont je porte en mémoire le prénom, écrivait qu’il embarquerait à Thessalonique, joli port de Grèce, quand la guerre serait finie. Papa, cuisinier-pâtissier hors pair, tu faisais vivre ta famille par ton métier dans cette petite pension, maison familiale, ce nid de mon enfance et de ma jeunesse, témoin de mes joies et de mes chagrins. La clientèle ne désemplissait pas de toute la saison, les pèlerinages s’enchainaient de mars jusqu’à fin octobre sans répit. Le travail assez dur ne manquait pas en cette époque florissante. Nous l’accomplissions en famille du mieux que possible. Maman s’occupait de l’accueil, de la comptabilité et des réservations. Accueillante et dévouée, elle aimait recevoir et se consacrait corps et âme à son travail dans un échange et un contact chaleureux avec ses clients et amis fidèles. Fervente catholique et pratiquante, elle leur parlait de sa foi, leur offrait quelques reliques de Sainte Bernadette, dont ma sœur de trois ans ma cadette fut baptisée de ce prénom. Maman, née Dufo en 1901, fille unique d’une fratrie de quatre enfants dont Bernard, Jules et Joseph, handicapé, qui mourut très jeune. Maman, Marthe, de son prénom, qui reçut une éducation très stricte, ayant souffert affectivement d’une rupture précoce de la famille, surtout d’avec son père, Octavien, qu’elle chérissait tant. Envoyée très jeune par sa mère en pension chez Mademoiselle Mounic à Lourdes, là où se trouva par la suite l’ancienne bibliothèque municipale, chaussée Maransin. Elle avait gardé de cela un côté très pudique et une sensibilité à fleur de peau, mais avait toutefois acquis un bon niveau intellectuellement parlant. Toi, grand-père Octavien, tu étais une sommité, instruit et cultivé, amoureux de littérature, fervent défenseur des droits de l’homme, tu aimais faire de la politique. Maire de Cheust, tu consacras toute ta vie à ton petit village. J’aimais t’y rendre visite. Tu prenais plaisir à écouter les poèmes que j’apprenais à l’école, et tu m’encourageais à les réciter en y mettant le ton, ta préférence allant vers « Jeanne était au pain sec » de Victor Hugo. Tu étais toi-même un « grand poète » à tes heures. Je sais que maman est restée toujours très proche de toi. Ma plus jeune sœur, Madeleine, naquit cinq ans après moi. Autant dire que les serveuses ne manquaient pas à la pension de famille où nous avions le service à tenir toutes les trois. Ainsi, tout le monde se trouvait à son poste durant chaque saison.   

 

 

(A suivre)

 


Publié dans témoignages

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